Bénin, mon amour

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Je suis retourné au Bénin. En tant que président de l’association “Les Enfants de Togbota“ (j’adore écrire ça), je me dois de surveiller mes ouailles et mes investissements. Parti avec la grippe, je l’ai généreusement distribuée autour de moi afin de réduire les inégalités entre les pays du Nord et du Sud.
Durant mon séjour, j’ai pu rencontrer le “responsable du quartier“, un élu qui fait office de chef dans chacun des 12 quartiers qui composent le village de Togbota, 4000 âmes dont plus de 3000 enfants. J’ai également rencontré Constance et Rodrigues qui s’occupent de l’accueil des enfants dans l’école que mon association finance. Soixante d’entre eux y vont chaque jour, garçons et filles.
J’ai renégocié avec le propriétaire, Monsieur Sauvi, le lopin de terre où est installée l’école et j’ai rencontré l’infirmier du “dispensaire“ d’Oujra. J’y ai mis des guillemets tellement l’endroit est éloigné de ce que l’on est en droit d’attendre d’un lieu qui prodigue des soins : déjections de chauves souris jonchant le sol, les matelas (ou ce qu’il en reste), le matériel de soin… je n’ai pas de mots pour décrire ce que j’ai vu. Cf la photo illustrant cet article.
La sage-femme m’expliquait que lors des accouchements, la salle de travail est tellement petite et le matériel si usé, que le sang gicle sur les murs qu’il faut nettoyer à chaque fois avec de l’eau et un chiffon (mais le sang séché qui maculait encore les murs démontrait l’inefficacité de cette méthode). L’armoire à médicaments pour tout un village est à moitié vide et tout juste bon pour répondre à un besoin en “bobologie“… Triste, rageant. Il faut faire quelque chose mais j’aurai besoin de plus de moyens pour cela. Il faut refaire du ciment pour empêcher les chauve souris de  pénétrer le bâtiment, mettre des paravents pour isoler les malades, carreler le sol, changer les lits, les matelas, électrifier le bâtiment avec des panneaux solaires pour que les femmes puissent accoucher autrement qu’éclairées par une lampe torche tenue entre les dents d’une sage femme, installer des brasseurs d’air car la température est suffoquente etc.
Rendez-vous était pris également avec Léonel pour parler du délicat problème de la ferme solidaire qui ne produit pas assez et qui, comparée à son coût, est loin de la rentabilité. Je suis arrivé avec l’intention de lui expliquer qu’on allait arrêter et puis… J’ai vu la ferme. Impeccablement entretenue, aucun chiendent dans les allées, les parcelles parfaitement délimitées, toutes les installations que j’avais fait construire il y a 2 ans fonctionnent toujours : puits, château d’eau, groupe électrogène, système d’irrigation. Un petite jardin à l’anglaise au milieu de la brousse…
Les 2 employés étaient là, debout et silencieux. Installés sur des bancs de bois, sous un toit végétal nous protégeant du soleil, j’ai expliqué à Léonel mon point de vue, la responsabilité qui était la mienne vis-à-vis des donateurs etc. Puis Léonel a pris la parole, posément, entendant tous mes reproches, comprenant mon impatience et ma déception, m’opposant en retour les conditions climatiques extrêmes qu’ils avaient dû essuyer ces derniers mois : les inondations qui ont détruit une bonne partie du maïs puis les 4 semaines de sécheresse qui ont suivi. Il a poursuivi sa défense en expliquant qu’une ferme ne se gérait pas comme on gère un commerce : j’achète le lundi un objet 100 francs que je revends le mardi 110 en encaissant une petite plus value au passage. La terre nécessite du temps pour être apprivoisée, être préparée et que tout cela nécessite une vision à long terme et non à court terme. 2 ans à l’échelle d’une ferme, c’est très peu d’autant que le choix du maïs n’était pas le sien mais celui d’Urgence Afrique. Il m’a expliqué que malgré les catastrophes climatiques qui ont ravagé la région, la ferme, notre ferme, est la SEULE a avoir réussi à produire du maïs et que cela a même permis la plantation d’une deuxième parcelle.
Leonel m’a convaincu. Abandonner maintenant serait une bêtise. Le poulailler est magnifique, bien bâti et les poules qui sont le résultat d’un croisement qu’il a réalisé lui-même seront plus résistantes aux parasites. J’ai vu des gens passionnés, travailleurs et volontaires, fourmillant de projets et d’idées et ne demandant qu’à être appuyés financièrement pour continuer. Alors je suis revenu sur ce que j’avais décidé et on va continuer mais différemment : on abandonne le maïs qui est une culture trop fragile pour la région et ne rapporte pas assez en terme de récolte et on va planter 500 bananiers qui en donneront 900 la deuxième année. A trois ans, la ferme pourrait être proche de l’équilibre.
La journée s’est terminée avec la distribution des vêtements que vous m’aviez confiés (plus de 60 kilos grâce à Air France et notamment le Commandant Laurent Biraud). Si je dois garder un souvenir de  cette journée, ce sera cette petite fille qui avait repéré une paire de sandales blanche avec deux grosses pétales de cuir habillés de “diamants“ et qui, me les pointant du doigt, me demandait silencieusement de les essayer. Je lui ai passé aux pieds afin de vérifier sa pointure : elles lui allaient parfaitement. Ma petite Cendrillon releva la tête avec un sourire incroyable (ils sont d’ordinaire très pudiques avec les “yovos“, les blancs) et ses yeux semblaient m’interroger : “elles sont vraiment à moi ??“ Là, j’ai senti en moi un immense sentiment de joie et puis quelques larmes ont mouillé mes yeux. Je lui ai souri pour lui signifier qu’elle pouvait les emmener avec elle et je l’ai regardé s’éloigner en riant et criant dans son dialecte que je ne comprends pas. Nous ne sommes pas dit un mot mais nous nous sommes dits beaucoup de choses. Elle n’avait jamais rien possédé de si précieux ; des chaussures qu’en Occident, nous jetons tous les jours quand nos enfants ne rentrent plus dedans ont comblé les rêves d’une petite africaine…
Malheureusement, il n’y en a pas eu assez pour tout le monde. 3000 enfants à habiller, c’est trop… Les petits étaient tellement nombreux, massés autour de la “Case des Enfants“ où les essayages avaient lieu, que l’escalier d’accès s’est effondré sous le surpoids. Quand je suis sorti sur la terrasse pour comprendre la cause de ce tumulte, une foule s’est mis à m’interpeler et à scander mon nom “Jeff, Jeff !“, me demandant quelque chose, n’importe quoi, tendant des bras dans ma direction, m’implorant de leur donner à eux aussi un tee-shirt, un short, une paire de chaussures… C’était assez frustrant et gênant d’entendre tous ces enfants crier mon nom comme si j’étais une divinité capable de multiplier les paires de chaussures, un dieu capable d’accomplir des miracles. Malheureusement, je ne suis qu’un homme et j’ai dû battre en retraite, m’enfermer pour attendre que le calme revienne. Cela a duré trop longtemps et leurs cris raisonnent encore dans ma tête.
Voilà pour ce long récit de mon séjour à Togbota et des décisions qui ont été prises. Il faut continuer à financer cette association pour que je puisse m’occuper désormais du dispensaire public qui a un besoin URGENT de travaux.

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