Mon père ce héros

Moi déguisé

J’ai toujours beaucoup aimé me déguiser quand j’étais petit et ce plaisir ne s’est jamais consumé avec le temps puisqu’aujourd’hui encore, j’ai le bonheur d’exercer un métier où je peux me retrouver dans la peau d’un gourou indien enturbanné, Superman ou en maillot de bain dans un supermarché. Sur ce cliché, je dois avoir 9 ou 10 ans et la ressemblance avec mon fils est telle qu’il a cru que c’était lui et m’a interrogé : “mais quand est-ce que j’étais déguisé comme ça ?“
J’aurais fait un joli travesti mais la vie en a décidé autrement pour la plus grande joie de mes parents. Les jours de Carnaval, nous avions le droit de nous rendre au Collège Rabelais de Meudon déguisés pour assister aux cours et c’était à celui qui provoquerait la plus forte sensation, le plus grand éclat de rire. J’étais en compétition régulière avec mon ami Jean-Philippe Duquay qui était plus musclé, plus intelligent (c’était le meilleur élève de la classe), plus cultivé mais moins drôle. Heureusement que l’humour a été donné par le Créateur pour compenser les physiques disgracieux ou bien les handicaps intellectuels de certains. Dans sa grande commisération et générosité, j’ai eu droit à un physique d’Apollon, d’un intellect qui me permet de lire l’Equipe sans dictionnaire et d’un sens de l’humour qui me fait vivre.
Je me souviens en particulier des épreuves sportives de saut en hauteur qui me voyaient affronter Jean-Philippe dans le petit gymnase de l’école. Le professeur procédait par élimination directe et nous avions droit à 3 sauts. Nous nous retrouvions à chaque fois face à face tous les 2 dans un final haletant qui faisait se regrouper autour de nous le reste de la classe, prenant parti pour l’un ou l’autre. Je le revois avec son survêtement rouge, son short blanc et ses cheveux châtains épais qui tombaient sur ses épaules. Je ne rêvais que d’une chose : le battre. Aussi loin que ma mémoire le permet, cela n’est pas arrivé souvent. Saut en hauteur, longueur, sprint… il me battait plus souvent qu’à mon tour et j’avais à chaque fois un goût étrange dans la gorge. Un mélange de sang, de glaire… le gout acre de la défaite.
Même le métier de nos parents était un sujet de compétition et de dispute. Le sort avait décidé que mon ami aurait son père cadre chez Total alors que le mien était cadre chez… Elf. Total et Elf étaient concurrents à cette époque et, plus que cela, ennemis. En effet, je viens d’un temps où l’on était Peugeot OU Renault, RTL OU Europe 1, Stones OU Beatles, Elf OU Total… on DEVAIT choisir et ne surtout pas se mélanger.
J’admirais mon père que j’imaginais se battant courageusement contre le père Duquay qui faisait tout son possible pour l’embêter et nous retirer par la même, le pain de la bouche. Total supportait Peugeot en Rallye, Elf supportait Renault en Formule 1 et cette compétition automobile était l’objet de violents affrontements entre Jean-Philippe et moi. Qui était le meilleur pilote ? Ari Vatanen ou Alain Prost ? A cette question stupide et sans aucun sens, j’apportais pourtant des éléments de réponse que je pensais probants et indiscutables. “La Formule 1 est assurément plus dangereuse que le rallye !“, affirmais-je péremptoirement à Jean-Philippe. “Faux !“ répondait ce dernier. “Il faut des qualités polyvalentes pour gagner en rallye sur des surfaces à chaque fois différentes. C’est autre chose que de faire des tours en rond dans un circuit !“.
En cours de physique/chimie, j’amenais des films que mon père empruntait à son travail et qui expliquaient de manière pédagogique (et propagandiste) comment Elf cherchait et exploitait les gisements de pétrole dans le monde entier. Je jouissais en silence de voir mes camarades de classe captivés par les images impressionnantes de plates formes pétrolières en mer du nord alors que le visage de Jean-Philippe se décomposait, vaincu par la pellicule et le talent de metteurs en scène de génie.
Je me souviens d’une empoignade plus violente qu’une autre sur cette question Ô combien importante : quel était le plus gros pétrolier du monde ? J’avançais mes arguments sur le “Pierre Guillaumat“ et sa capacité titanesque de transport, son tonnage et la taille astronomique de ses hélices alors que Jean-Philippe m’apportait moultes arguments contradictoires justifiant le fait que mon “Pierre Guillaumat“ n’était ni plus ni moins qu’un vulgaire youyou comparé au navire amiral de Total.
Cette compétition alimentait l’admiration que je nourrissais envers mon père. Ce dernier était de ces salariés d’autrefois qui vouaient une passion sans borne à la société qui les employait. Ainsi, je ne l’ai JAMAIS vu faire le plein ailleurs que chez Elf, préférant frôler la panne sèche plutôt que de donner son argent à l’ennemi. A mon ennemi : le père Duquay.
Quelle fierté était la mienne quand il m’emmenait à son bureau, une tour parisienne que je trouvais gigantesque (c’était bien avant de découvrir les USA et l’acromégalie de ses bâtiments) où il possédait un bureau à lui avec une assistante qui me frottait systématiquement les cheveux en répétant “comme il grandit vite, lui !“. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas ce geste répété qui a été la cause de mon alopécie…
Plus je grandissais, plus l’étage où se situait le bureau de mon père prenait de la hauteur alors que le capot de sa voiture de fonction s’allongeait. J’étais fier de lui et si l’enfant que j’étais n’a jamais bien compris quelle était sa fonction exacte au sein du groupe, j’étais certain que sans son labeur, les automobilistes français ne pourraient plus faire le plein d’essence. Il était un rouage essentiel de l’économie française et Jean-Philippe pouvait dire ce qu’il voulait : Total n’était qu’un vulgaire copieur.
Vous imaginez quel drame cela a été pour lui (et pour moi) lorsque Total a absorbé Elf… Mes valeurs, le fragile équilibre du monde, les convictions qui ont forgé l’homme que j’étais devenu… tout cela était réduit à néant à cause d’une volonté politique et d’un échange d’actions…
J’étais bien triste et j’imagine que le chagrin de mon papa a été bien plus grand encore. C’est qu’on ne rigolait pas avec ça à l’époque… Je n’ai pas été un adolescent difficile et je crois que mon acte de rébellion le plus flamboyant a été de remplir le réservoir de ma mobylette dans une station Total “pour faire chier mon père“ qui me refusait l’achat d’un scooter.
Désormais il fait le plein chez Total et moi je regarde tristement les dernières stations Elf troquer leur logo rouge et bleu contre celui, orange, de l’ancien ennemi.
Les temps changent mais j’aimerais beaucoup que mon fils m’admire autant que j’ai pu admirer mon père.

3 Responses
  1. cambresine

    Comme tu es mignon! ! j’ai cru un instant que c’était poupinette qui avait pris l’initiative d’envoyer sa photo !
    Effectivement on lit le bonheur sur ton visage,je dirai même l’extase d’être déguise!
    si ton fils te ressemble il est donc drôlement joli !
    en confiance félicitation et bonne carrière pour lui au foot !

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