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J’aime faire découvrir de nouvelles choses à mes enfants, leur ouvrir les portes du monde ou plus modestement, les portes de mon monde. Ils aiment explorer avec moi, les trésors essaimés sur la surface du globe et, dès l’âge de 10 ans, ils avaient déjà voyagé sur 4 continents.
Mais j’ai pris un gros risque pour la semaine du nouvel an que nous devions passer ensemble… Point d’aéroports cette fois-ci ou de trains à grande vitesse fendant les paysages d’Europe et c’est bien ce qui les intriguait. Car une autre de mes marottes est de leur cacher jusqu’au bout, le programme de nos vacances familiales. J’aime entendre leurs questions, leurs jérémiades et leurs suppliques : “allez papa steuplait ! Dis-nous au moins si on doit prendre nos maillots de bain ?!“, “c’est en Europe ?“ etc.
Disons-le franchement, je n’étais pas à l’aise pour leur avouer dans la voiture de location louée pour l’occasion : “nous allons à Chemilly/Yonne, dans un gite rural“. Non, je n’étais pas à l’aise et ma gêne ne fit qu’amplifier quand je vis leurs visages se décomposer dans le rétroviseur de la Citroën. “Chenille quoi ?“ bredouilla ma fille pensant à une de mes plaisanteries vaseuses. Je répétais tel un GPS notre destination : un village perdu dans l’Yonne, entre Chablis et Auxerre. 5 personnes l’hiver, 0 l’été car ils se barrent tous dès les beaux jours venus.
L’objet de ce voyage était autant pédagogique que sentimental : je voulais leur faire découvrir les lieux de mon enfance et notamment le petit village d’Héry où mes parents possédaient une maison de campagne (à une époque où les impôts nous en laissaient la possibilité). Là, petit garçon, je passais toutes mes vacances et beaucoup de mes week-ends, à construire des cabanes, “jouer à la guerre“ avec des pistolets en plastique et surtout à trainer à la ferme des Blain, agriculteurs et cultivateurs depuis 8 générations et dont nous étions les citadins voisins. Ils me couvèrent de leur affection et rapidement m’invitèrent à participer aux travaux de la ferme : traite des vaches laitières (tâche que j’accomplissais matin et soir), nettoyage de la salle de stabulation, fourrage des bêtes, moissonnage des blés durant l’été… J’aurais pu finir vétérinaire et père de famille nombreuse (les loisirs sont rares et il faut bien occuper son temps comme on peut) si la vie n’en avait décidé autrement.
Je suis retourné avec mes enfants dans la maison qui avait appartenu à mes parents. La propriétaire nous a ouvert grand les portes de son logis alors que je disparaissais sous une lame de souvenirs. Le jardin n’avait pas bougé, la butte de terre où j’aimais me cacher en m’imaginant dans la peau d’un GI américain parachuté pendant l’opération Overlord, s’était un peu déboisée et ne m’offrirait plus guère aujourd’hui de protection contre les mitraillettes allemandes.
Je suis allé ensuite à la ferme des Blain en me demandant ce que j’allais y trouver. Le bonheur, voilà ce que j’y ai trouvé. Le vrai, celui qui vous brûle de l’intérieur comme la bûche dans l’âtre. Je frappais timidement aux carreaux de la cuisine donnant sur la cour en me demandant qui allait m’ouvrir. Les nouveaux propriétaires ? Le fils Blain, Gérard, qui était mon héros quand j’étais petit car il savait conduire un tracteur et qu’il roulait en BMW ? Non… Une dame âgée s’est approchée en fauteuil roulant de la porte et je la reconnus instantanément : Jacqueline, la fermière avec qui je passais mes journées dans les champs. Elle ouvrit et nous fit rentrer dans la cuisine où j’avais développé mon goût pour la bonne chair. Elle nous demanda qui nous étions et j’essayai de la faire deviner en lui offrant le visage de mon fils qui est mon portrait craché à son âge. Las, Jacqueline nous répondit avec son accent paysan que malheureusement, elle ne voyait plus et que la devinette resterait sans réponse si je ne lui donnai quelque indice.
La vérité livrée, elle fondit en larmes en répétant cette phrase chargée de regret : “quel dommage que je ne puisse pas vous voir ! J’aimerais tant voir vos visages !“. Etouffée par l’émotion, enfouie sous la joie que je me sois souvenu d’elle, elle étouffait des sanglots trop sonores pour être cachés. Agée de 90 ans, elle passe désormais ses journées dans son fauteuil devant la télévision en attendant que la mort veuille bien l’emmener de l’autre côté rejoindre son mari disparu il y a 5 ans. Nous avons égréné nos souvenirs communs, tous plus touchant les uns que les autres, devant mes enfants qui avaient du mal à saisir l’importance de cette rencontre historique, certainement la dernière.
Le soir, je leur ai expliqué que ce “voyage“ sur les traces de mon enfance était aussi important et pédagogique pour eux qu’une visite dans un musée ou une promenade sur une jonque. Avec cette odyssée, je voulais leur apprendre à respecter leurs racines et à comprendre d’où ils viennent. Je leur confiais mon espoir qu’un jour, eux aussi, éprouvent le besoin de retrouver leurs traces de pas laissées dans la poussière du temps. Je ne sais pas s’ils ont compris mais ils ne faisaient plus la tête sur le chemin du retour vers notre gîte. Nous chantions et riions et je me suis mis à penser alors, que peut-être cette leçon serait retenue.
Prochaine étape, Paris… enfin… Meudon, dans la banlieue parisienne où je suis né et où j’ai passé 17 ans de ma vie. Je ne leur ai pas encore dit…

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Il y a des bruits du quotidien qui sont emplis de charme et de grâce et vous placent à l’acmé du bonheur quand ils raisonnent.
Un des bruits du quotidien que je préfère par dessus tout est celui de la poignée de porte de ma chambre lorsque les phalanges de mon fils la font basculer vers le bas pour en libérer le pêne. J’entends alors, dans le silence du matin, le son de ses petits pieds nus claquer sur le parquet sombre qui recouvre le sol de mon intérieur pour venir jusqu’à ma couche. Là, respectant en cela un protocole secret mais immuable, il me tapote délicatement l’épaule pour me signifier qu’il est présent.
Je me pousse alors sur le côté du lit encore frais pour lui faire une petite place. Pas trop, afin que nous puissions nous coller l’un à l’autre.
Les yeux encore mi-clos, je cherche son dos de ma bouche et lui dépose le premier baiser d’une longue série entre ses omoplates saillantes. Lui, colle alors ses pieds refroidis par le parquet séparant sa chambre de la mienne, contre mes cuisses encore chaudes de leur nuit passée sous la couette en duvet d’oie et nous restons ainsi quelques minutes à écouter nos souffles apaisés par une nuit pleine et entière.
Ma bouche impatiente commence à emprunter un chemin de balade qu’elle connait par cœur et mes lèvres déposent des baisers par dizaines dans le creux de son cou et sur ses cheveux sentant bon le shampoing et son eau de toilette Spiderman. Quand il en a assez de cette envahissante affection, il interrompt ce déluge de tendresse en me racontant ses rêves ou bien me pose une question venue de je ne sais où, ce qui achève de me réveiller totalement. Ainsi, hier matin, il me demanda à voix basse si je préférais être un aigle ou un dauphin…
Je ne sais plus ce que j’ai répondu mais je sais une chose : ce week-end, je les ai avec moi et je vais donc avoir droit à 2 réveils plein de câlins et pour rien au monde, je ne ferai huiler cette poignée de porte qui produit la plus jolie des musiques qui soit.

Moi déguisé

J’ai toujours beaucoup aimé me déguiser quand j’étais petit et ce plaisir ne s’est jamais consumé avec le temps puisqu’aujourd’hui encore, j’ai le bonheur d’exercer un métier où je peux me retrouver dans la peau d’un gourou indien enturbanné, Superman ou en maillot de bain dans un supermarché. Sur ce cliché, je dois avoir 9 ou 10 ans et la ressemblance avec mon fils est telle qu’il a cru que c’était lui et m’a interrogé : “mais quand est-ce que j’étais déguisé comme ça ?“
J’aurais fait un joli travesti mais la vie en a décidé autrement pour la plus grande joie de mes parents. Les jours de Carnaval, nous avions le droit de nous rendre au Collège Rabelais de Meudon déguisés pour assister aux cours et c’était à celui qui provoquerait la plus forte sensation, le plus grand éclat de rire. J’étais en compétition régulière avec mon ami Jean-Philippe Duquay qui était plus musclé, plus intelligent (c’était le meilleur élève de la classe), plus cultivé mais moins drôle. Heureusement que l’humour a été donné par le Créateur pour compenser les physiques disgracieux ou bien les handicaps intellectuels de certains. Dans sa grande commisération et générosité, j’ai eu droit à un physique d’Apollon, d’un intellect qui me permet de lire l’Equipe sans dictionnaire et d’un sens de l’humour qui me fait vivre.
Je me souviens en particulier des épreuves sportives de saut en hauteur qui me voyaient affronter Jean-Philippe dans le petit gymnase de l’école. Le professeur procédait par élimination directe et nous avions droit à 3 sauts. Nous nous retrouvions à chaque fois face à face tous les 2 dans un final haletant qui faisait se regrouper autour de nous le reste de la classe, prenant parti pour l’un ou l’autre. Je le revois avec son survêtement rouge, son short blanc et ses cheveux châtains épais qui tombaient sur ses épaules. Je ne rêvais que d’une chose : le battre. Aussi loin que ma mémoire le permet, cela n’est pas arrivé souvent. Saut en hauteur, longueur, sprint… il me battait plus souvent qu’à mon tour et j’avais à chaque fois un goût étrange dans la gorge. Un mélange de sang, de glaire… le gout acre de la défaite.
Même le métier de nos parents était un sujet de compétition et de dispute. Le sort avait décidé que mon ami aurait son père cadre chez Total alors que le mien était cadre chez… Elf. Total et Elf étaient concurrents à cette époque et, plus que cela, ennemis. En effet, je viens d’un temps où l’on était Peugeot OU Renault, RTL OU Europe 1, Stones OU Beatles, Elf OU Total… on DEVAIT choisir et ne surtout pas se mélanger.
J’admirais mon père que j’imaginais se battant courageusement contre le père Duquay qui faisait tout son possible pour l’embêter et nous retirer par la même, le pain de la bouche. Total supportait Peugeot en Rallye, Elf supportait Renault en Formule 1 et cette compétition automobile était l’objet de violents affrontements entre Jean-Philippe et moi. Qui était le meilleur pilote ? Ari Vatanen ou Alain Prost ? A cette question stupide et sans aucun sens, j’apportais pourtant des éléments de réponse que je pensais probants et indiscutables. “La Formule 1 est assurément plus dangereuse que le rallye !“, affirmais-je péremptoirement à Jean-Philippe. “Faux !“ répondait ce dernier. “Il faut des qualités polyvalentes pour gagner en rallye sur des surfaces à chaque fois différentes. C’est autre chose que de faire des tours en rond dans un circuit !“.
En cours de physique/chimie, j’amenais des films que mon père empruntait à son travail et qui expliquaient de manière pédagogique (et propagandiste) comment Elf cherchait et exploitait les gisements de pétrole dans le monde entier. Je jouissais en silence de voir mes camarades de classe captivés par les images impressionnantes de plates formes pétrolières en mer du nord alors que le visage de Jean-Philippe se décomposait, vaincu par la pellicule et le talent de metteurs en scène de génie.
Je me souviens d’une empoignade plus violente qu’une autre sur cette question Ô combien importante : quel était le plus gros pétrolier du monde ? J’avançais mes arguments sur le “Pierre Guillaumat“ et sa capacité titanesque de transport, son tonnage et la taille astronomique de ses hélices alors que Jean-Philippe m’apportait moultes arguments contradictoires justifiant le fait que mon “Pierre Guillaumat“ n’était ni plus ni moins qu’un vulgaire youyou comparé au navire amiral de Total.
Cette compétition alimentait l’admiration que je nourrissais envers mon père. Ce dernier était de ces salariés d’autrefois qui vouaient une passion sans borne à la société qui les employait. Ainsi, je ne l’ai JAMAIS vu faire le plein ailleurs que chez Elf, préférant frôler la panne sèche plutôt que de donner son argent à l’ennemi. A mon ennemi : le père Duquay.
Quelle fierté était la mienne quand il m’emmenait à son bureau, une tour parisienne que je trouvais gigantesque (c’était bien avant de découvrir les USA et l’acromégalie de ses bâtiments) où il possédait un bureau à lui avec une assistante qui me frottait systématiquement les cheveux en répétant “comme il grandit vite, lui !“. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas ce geste répété qui a été la cause de mon alopécie…
Plus je grandissais, plus l’étage où se situait le bureau de mon père prenait de la hauteur alors que le capot de sa voiture de fonction s’allongeait. J’étais fier de lui et si l’enfant que j’étais n’a jamais bien compris quelle était sa fonction exacte au sein du groupe, j’étais certain que sans son labeur, les automobilistes français ne pourraient plus faire le plein d’essence. Il était un rouage essentiel de l’économie française et Jean-Philippe pouvait dire ce qu’il voulait : Total n’était qu’un vulgaire copieur.
Vous imaginez quel drame cela a été pour lui (et pour moi) lorsque Total a absorbé Elf… Mes valeurs, le fragile équilibre du monde, les convictions qui ont forgé l’homme que j’étais devenu… tout cela était réduit à néant à cause d’une volonté politique et d’un échange d’actions…
J’étais bien triste et j’imagine que le chagrin de mon papa a été bien plus grand encore. C’est qu’on ne rigolait pas avec ça à l’époque… Je n’ai pas été un adolescent difficile et je crois que mon acte de rébellion le plus flamboyant a été de remplir le réservoir de ma mobylette dans une station Total “pour faire chier mon père“ qui me refusait l’achat d’un scooter.
Désormais il fait le plein chez Total et moi je regarde tristement les dernières stations Elf troquer leur logo rouge et bleu contre celui, orange, de l’ancien ennemi.
Les temps changent mais j’aimerais beaucoup que mon fils m’admire autant que j’ai pu admirer mon père.

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