En Afrique, on a le temps

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Ce qui m’agace le plus en Afrique, c’est la notion de temps qui est très éloignée de la mienne, moi l’impatient chronique qui horripile ses amis et collaborateurs (demandez à Cyril Chauvin, le cadreur avec qui je travaille la plupart du temps et qui développe des plaques de psoriasis à chaque fois qu’il voit mon nom s’afficher sur l’écran de son mobile).
Au Bénin, il ne sert à rien de demander à votre chauffeur si “on est encore loin ?“ car il vous répondra systématiquement  : “non, on est pas loin, on est bientôt arrivés“. Qu’il soit à 1mn ou à 2 heures de là où vous vous rendez, il vous dira toujours “on est bientôt arrivés“ car il sait qu’il vous fait plaisir en disant cela et que c’est ce que vous voulez entendre. Pour lui, être à 1 mn ou à 2 heures ne semble pas très important tant que la route est jolie.
Ici, vous pouvez perdre un temps incroyable dans une quête aussi futile que de retirer de l’argent à un distributeur. Il y a ceux sur lequel est scotchée une feuille “en panne“, d’autres indiquant sur d’immenses pancartes “ici, VISA et MASTERCARD“ qui en fait n’acceptent ni l’une ni l’autre et qui vous recrachent votre carte bleue sans explication aucune et enfin, ceux qui ne veulent pas délivrer plus de 10 000 Francs CFA. Alors, vous courrez de distributeur en distributeur avec votre chauffeur qui vous attend patiemment sous le soleil incandescent, dans sa voiture non climatisée, toutes fenêtres ouvertes. Quand vous revenez bredouille, la mine furibarde parce que vous êtes toujours sans le sou, il vous accueille d’un grand éclat de rire “ça ne marche pas non plus ici ?! (rires) On va aller plus loin, c’est pas un problème, on va trouver ! (rires)“
Ensuite vous essayez, tel un détective, de vous renseigner auprès des agents de sécurité qui gardent ces temples (muets) garnis de billets, afin de savoir où il y en aurait un qui fonctionnerait. On vous indique alors des endroits qui ne vous disent rien mais dont vous retenez par cœur les indications afin de les répéter à votre chauffeur et vous repartez dans votre odyssée financière.
Mardi matin, j’ai ainsi passé 75 mn à retirer 160 000 francs CFA (225 €) en deux retraits…
Et tout est ainsi. La marchande de tissu chez qui j’ai acheté de quoi fabriquer des vêtements pour les enfants m’a obligé à passer (sans exagérer) plus de 6 heures dans sa boutique. A chaque fois, c’est le même processus qui se met en place : vous achetez (après de longues palabres et négociations) le tissu puis vous convenez d’un horaire de livraison… et c’est là que tout part en brioche. “Horaire de livraison“ est un terme vague pour dire “tu peux revenir à 15 heures mais je n’aurai pas fini de tout couper et tu devras attendre“. Effectivement, quand vous arrivez à 16h00 (parce que vous lui laissez une marge d’erreur), elle n’a pas encore commencé à découper les 500 pièces de tissu commandées. Elle vous explique, en souriant, qu’elle a eu beaucoup de choses à faire. Alors, vous prenez un tabouret de bois et, sous votre surveillance, elle commence à découper avec ses longs ciseaux la gabardine kaki dont vous avez fait l’acquisition. A 20 heures, tiraillé par la faim, le mal de dos et l’envie de la tuer, vous quittez son échoppe alors qu’elle vous promet de ne pas partir avant que “tout soit fini, à la grâce de Dieu !“ et vous fixe un autre rendez-vous le lendemain matin. Mais… rebelote le lendemain, il en reste 325 à découper !
En fait, dès que vous avez le dos tourné, elle passe à autre chose car sa notion du temps ne s’accorde pas avec la vôtre. Elle ne comprend pas que vous soyez pressé, ne voit pas l’importance qui est la vôtre de partir dans votre village avec le tissu alors, elle prend son temps et profite de vos signes d’impatience pour tenter de renégocier 10 fois le prix convenu pour lequel elle vous a pourtant fait une facture !
Il faut des nerfs d’acier (que j’ai failli perdre une fois) quand elle vous dit que finalement, elle n’y arrivera pas à ce prix et qu’elle laisse tomber. Vous pensez à tous vos donateurs qui vous ont versé un peu d’argent (et beaucoup pour certains), à votre petit neveu qui a cassé sa tire-lire, au fric qu’a couté votre voyage, au temps que vous sacrifiez pour cette mission, à tous les enfants qui vous attendent dans le village… bref, vous avez envie de pleurer et d’envoyer “chier“ ce pays que vous ne comprendrez jamais complètement, même en y venant chaque année jusqu’à la fin de vos jours.
Mais tout s’arrange en Afrique. Tout rentre dans l’ordre car tout ceci est une immense comédie où chacun joue son rôle. Alors que je parlais à Eugène, mon ami Béninois, d’en venir à la police pour la contraindre à nous livrer ou nous rendre l’argent, celui-ci m’a regardé comme si j’avais parlé de faire intervenir l’OTAN et a éclaté de rire : “tout va s’arranger, ne t’inquiète pas“.
Les noirs savent que les blancs n’ont pas de temps alors qu’eux le fabriquent. Le Bénin est un pays pauvre en ressources mais immensément riche en temps et si le temps était de l’argent, les béninois seraient assurément, les monégasques de cette planète.
Mon impatience a pris une belle leçon durant ces quelques jours mais je sais malheureusement, que cette richesse que j’ai acquise ici ne restera pas bien longtemps dans le porte-monnaie de l’européen pressé que je suis.

3 Responses
  1. Chantal

    Ton article me fait sourire, je t’imagine assis sur ce tabouret inconfortable, même si je trouve que tu n’es plus aussi impatient « qu’avant »! Tu t’es « bonifié » durant ces dernières années!! Je voudrais toutefois juste relever cette si belle démarche que tu as mis au point, ce voyage pour aider les Béninois qui n’ont rien d’autre que le temps devant eux…quoique relatif cette perspective de temps….Il faut souligner que tu n’es pas seulement un « amuseur »Tu es un homme généreux, sensible, et avec des valeurs et pas celles qu’il faut déclarer au fisc!!

  2. Chantal

    Non pas çà!!! ils vont pas nous enlever çà….AUSSI!!! tout va devenir légalisé et par la même aseptisé!!! mon dieu c’est la dépression pour tout le monde…Les coach vont se « gaver » !!!!

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