Quand j'essaye d'élever le niveau de ma culture…

Samedi soir, j’ai répondu à l’invitation insolite d’une personne aussi jeune que charmante qui m’a plongé dans un monde que je connais bien mal : celui des intellectuels (de gauche. Vous remarquerez que les intellectuels sont souvent de ce côté de l’échiquier politique. A croire que tous les cons sont à droite). L’odyssée a commencé par la prise d’une navette de la RTM (cf photo) qui est passée en bas de chez moi pour nous mener dans les quartiers nords de Marseille. Dépourvus de gilets pare-balles, le voyage s’est malgré tout déroulé sans encombre bien qu’une forte odeur de vomi m’ait assailli les narines dès la montée dans le bus. Ce dernier avait dû convoyer  auparavant des supporters de football ayant dépassés la limite raisonnable de consommation d’alcool.
A chaque ouverture des portes, j’en profitais pour voler un peu d’air frais avant de me placer à nouveau en apnée tel un Jacques Mayol des transports en commun. Derrière nous, un jeune individu s’amusait à interroger ce qui semblait être sa mère, sur des locutions à traduire en espagnol. Il tenait un guide devant lui et il a passé (sans mentir) 35 minutes à poser les questions suivantes : “et comment on dit : ma voiture est rouge ? Et comment on dit : quelle heure est-il ?“ et sa mère de répondre : “mi coche es rojo. Que hora es“. J’ai failli lui proposer de traduire “et comment on dit : tu peux fermer ta gueule ?“ avant de me raviser afin de ne pas casser l’ambiance et ne pas rajouter de la violence physique à la violence olfactive qui semblait affecter tous les passagers de ce bus.
Le véhicule nous déposa devant le théâtre du Merlan où une foule bigarrée fumait à l’extérieur du lieu de culture subventionné. Comment vous décrire les spectateurs qui attendaient en buvant des bières et en fumant des cigarettes (qui ne provenaient pas toutes de manufactures de tabac) ? Vous voyez la Fête de l’Huma ? Un concert de Cali ? Les mêmes. Ça sentait bon le macramé, les colliers de bois (équitable), les tuniques en chanvre, le cheveu long pour les hommes et gras pour les femmes.
J’avisais le bar et me précipitais dessus pour y commander la seule boisson qui me convient dans ce genre de situation : un Coca Zéro. Le barman m’a regardé avec un œil étrange, une pointe de dégout au fond de la pupille et j’ai eu l’impression, l’espace d’un instant, d’avoir commandé de l’urine de cheval ou des menstrues de truies naines. Il m’a poliment répondu “ah nous ne faisons pas ce genre de boissons ici ! Toutes nos boissons sont locales et organiques“. J’ai eu envie de rentrer en conflit avec l’insolent en lui précisant que le Coca Zéro était fabriqué dans l’usine de Signes qui se situe à 2 pas de Marseille mais j’ai préféré reculer encore une fois et me contenter d’un verre de vin blanc “bio“. Ce geste à l’allure de calumet de la paix mit le tavernier en joie car il voyait son prosélytisme agricole récompensé.
Ensuite, il a fallu prendre place dans la salle pour assister à un spectacle de cirque “moderne“. Comprenez par là : des acrobates de rue qui font un peu n’importe quoi sur une scène en enrobant tout ça dans un écrin d’onirisme et de poésie abstraite à laquelle personne ne comprend rien. S’il y a eu de vrais moments de grâce durant les 90 mn qu’a duré le spectacle, il y a eu de longs passages auxquels je n’ai absolument rien compris comme hermétique à toute poésie post XXème siècle.
Ainsi à un moment, un des artistes s’est mis à dessiner au feutre sur les tee-shirts de ses collègues des motifs aussi divers et abscons qu’une cible de tir à l’arc, une grille de morpion, un cœur. Alors que toute la salle était en train de se prendre la tête à tenter de comprendre ce que les artistes voulaient envoyer comme message en barbouillant de la sorte leurs beaux habits, moi je ne me posais qu’une seule question : lavent-ils leurs vêtements à 30 C° ou bien faut-il les faire bouillir pour les détacher ?
Après avoir endommagé tous les tricots de peau de ses amis, l’unique jeune femme de la troupe s’est mise à crayonner le sol d’une question “à quoi pensez-vous ?“ J’ai eu envie de me lever et de lui répondre à haute voix : “comment vous lavez votre linge ?“ mais l’amie qui s’était mise en tête d’élever mon esprit m’en aurait voulu et je suis donc parti avec cette question sans réponse.
Après le spectacle, j’ai entendu un tas de gens expliquer qu’ils avaient tout compris et que c’était vraiment très “puissant“ ce qu’ils avaient vu et tellement “subversif“ ! J’aurais voulu leur demander de m’expliquer mais j’ai préfèré reprendre le bus et rentrer chez moi faire une lessive.