Un revers en pleine face

Il arrive que l’on se plante dans la vie. L’échec fait partie des choses que l’on apprend très vite. L’enfant que l’on a tous été, apprend à tomber lorsqu’il commence à marcher, l’adulte comprend que s’il néglige sa femme, celle-ci a de grande chance de se barrer, que si on dépasse les limitations de vitesse, on a plus de chance de se voir supprimer son permis de conduire que celui qui respecte scrupuleusement le code de la route etc. J’aime bien apprendre de la vie mais il y a parfois des leçons difficiles à accepter surtout lorsqu’elles sont injustes ou qu’elles en revêtent le costume.
La dernière leçon est arrivée hier après-midi. Je devais passer aujourd’hui un casting pour une émission quotidienne sur France Méditerranée à la rentrée. Vous imaginez le truc ? Le pied, le top, ce après quoi je cours depuis que je fais ce métier ! Tous les jours à l’antenne pendant 26′ ! Le top… Ce job m’avait été proposé car, me disait-on je “crevais l’écran“, on ne comprenait pas qu’on ne m’ait jamais proposé une émission avant ! “On ne voit que toi, c’est drôle, impertinent juste ce qu’il faut et tu rajeunis l’image de la station qui ne fait plus d’audience. Tout le monde parle de toi, même sur Paris ! Cela te dirait d’animer une émission ? Oui ? Alors propose des idées“. Ma tête tourbillonnait, enivrée de tous ces beaux compliments et je m’attelais dare-dare à l’élaboration d’une quotidienne enlevée répondant aux critères de la télévision publique. Après plusieurs réunions de cadrage, on m’annonçait qu’un casting allait être organisé et qu’il fallait “absolument que j’en sois. S’il y en a un qu’on veut voir, c’est bien toi !“.
Je me préparais depuis 10 jours à cette audition qui devait me faire passer dans une autre dimension. J’écrivais mes lancements, des rubriques toutes plus drôles et fines les unes que les autres et puis, enfin, hier, j’appelais pour savoir où aurait lieu le casting et à quelle heure ma présence au maquillage était souhaitée… Voilà la conversation que j’ai eu :
– Ah, c’est toi Jeff… ?
– Oui ! Salut ? Tu vas bien ? (voix enjouée du mec débordant de joie) Je voulais savoir, donc, comment ça va se passer exactement demain : y’aura des faux invités ? Je prépare des questions ? J’ai préparé quelques trucs pour les lancements dont je ne suis pas mécontent !
– Je suis désolé, j’ai oublié de te prévenir mais tu ne passeras pas le casting.
– …
– Oui, y’a des gens ici qui pensent que c’est trop tôt… Que tu es trop “Canal +“… pas assez France 3, quoi… je suis désolé…
– Mais je croyais que vous vouliez justement “bouger les lignes“, “arrêter de perdre de l’audience“, “rajeunir l’antenne“… Faire de la vraie télé, quoi… ?
– Oui, mais non. J’ai essayé de défendre ta cause…
– Mais, vous ne me donnez même pas ma chance ? Je ne peux même pas essayer ?
– Non, ça ne sert à rien. Tu ne seras pas pris de toutes les façons même en étant le meilleur. Je suis navré.
Et voilà comment un rêve se brise en mille morceaux. C’est rageant de perdre sur tapis vert. De chuter en coulisse. Depuis, certaines langues de délient et on me dit (pour me rassurer ?) qu’on ne voulait pas de moi au casting car il aurait alors été très difficile de m’écarter. C’est gentil mais ça ne console pas. J’ai été éliminé avant même de concourir. Imaginez Nadal à qui on viendrait dire dans les vestiaires où il est en train de se concentrer avant sa finale : “tu joues pas“. Dur, dur…
Je pourrais dire que le monde de la télévision est impitoyable et surtout irrationnelle mais ce serait faux. Ce genre de mésaventure arrive à tout le monde. On pense être le plus à même pour occuper le poste de responsable marketing ou de chef de secteur dans la grande distribution et puis on file le job à quelqu’un d’autre pour des raisons que vous ne comprenez pas toujours.
Je sais que je rebondirai : je rebondis toujours et je me sers toujours de mes échecs (relatifs) et des injustices que je peux subir pour les transformer en énergie positive et avancer. C’est peut-être vrai que je suis trop “Canal +“… Alors si j’essayais d’y aller ?