Un texte de Gilles Azzopardi aux petits oignons

gillesaz

Gilles Azzopardi est de retour et il le signe de belle manière avec un texte délicieux qui était, à la base, un commentaire de l’article consacré à “mon fan“. J’ai rit comme un bossu à ce texte ciselé par le plus grand capilliculteur de mots que je connaisse.
Je vous laisse déguster ce texte qui ressemble à du caviar sur une pomme de terre en robe des champs.
“Mon Jeff,
J’ai une petite anecdote « vraie » concernant « Ton fan ». Un soir, au sortir d’une représentation brillante et magistrale lors de laquelle j’avais encore repoussé les limites de l’Art scénique, je m’apprêtais nonchalamment à rencontrer « mon public » enthousiaste et innombrable sur le parvis du théâtre comme à l’accoutumée. J’avais préparé mon stylo et ma réserve de photos « à dédicacer » habilement dissimulés dans la poche intérieure de mon veston, prêts à être dégainés dans une fausse spontanéité à peine jouée.
Quelle ne fût ma surprise en constatant amèrement que personne ne m’attendais… Sauf la nuit… Noire, profonde et mélancolique comme un poème de Verlaine, accompagnée par un blizzard sinistre et glacial, messager zélé des missives pestilentielles d’une bouche d’égout à l’haleine fétide toute proche. Maudissant intérieurement ce public, qui décidemment ne méritait pas mon Génie, puisque incapable de le décrypter, je m’apprêter à affronter une nouvelle nuit de méditation solitaire et alcoolisée en devisant avec moi même sur la vacuité du monde.
J’allais quitter le parvis du théâtre désert quand je fut alpagué vivement par un quidam… L’homme, un peu trop jovial pour être honnête, la soixantaine bedonnante, la tignasse en bataille, accoutré comme un personnage d’un roman de Zola, parlait fort et saccadait son texte dans une diction déplorable. Dans un premier temps je fus effrayé, croyant que l’ivrogne du coin voulait s’en prendre physiquement à ma personne afin de me soutirer quelque argent (que je n’avais pas d’ailleurs étant un « Artiste »). Instinctivement je reculais en tentant de raisonner mon interlocuteur, tout en scrutant les alentours d’un œil vif et inquiet, cherchant désespérément un représentant des forces de l’ordre ou un porche qui aurait pu abriter ma fuite en cas de « casus belli ». Finalement je ne décelais aucune agressivité dans les propos incongrus de « l’homme des bois ». Au contraire !  A un moment, il me donna même du « Monsieur Azzopardi » ce qui, finalement me le rendit fort sympathique.  Le type m’avait reconnu ! Tu te rends compte Jeff ! En pleine nuit ! Je fus quelque peu flatté, il faut bien le dire, et je confesse bien volontiers un début d’érection qui me mit le cœur et le slip en joie.
Ca y est ! C’était la consécration ! Le travail avait fini par payer ! Ma renommée, amplement méritée, commençait enfin à dépasser les frontières de mes voisins de palier et de ma famille proche ! J’étais reconnu par un inconnu ! J’adoptais un ton doucereux et condescendant tapotant du bout des doigts sur l’épaule (que j’imaginais velue et adipeuse sous l‘étoffe grossière des hardes qu‘il portait…) de ce simple mortel. A vrai dire, ça n’était pas vraiment le genre de public que je visais dans mes entreprises artistiques de « très haute volée » , mais bon, faute de grives… Et puis après tout, le public « populaire » représente une manne financière non négligeable qu’il convient d’accepter bon gré mal gré (dixit Jean Jacques Goldman). Pour le récompenser de sa vista et de son acuité visuelle nocturne hors du commun, je décidais de lui offrir généreusement une de mes photos, accompagnée d’une dédicace autographe, ce qui pourrait, un jour sûrement, l’enrichir démesurément. Mais à ma grande stupéfaction voilà que le « Bachi-bouzouk » refuse poliment ma « Relique Sacrée » et repousse doucement la main du démiurge…
Damned ! Qu’est-ce que c’est que ça !  Comment ose-t-il?!!! Il m’explique poliment mais fermement qu’il n’a plus de place dans son portefeuille et qu’il ne veut pas s’encombrer  inutilement avec des prospectus et autres saletés imprimées qui risqueraient de lui déformer les poches… Je reste bouche bée, abasourdi par l’outrecuidance du personnage. De plus, comble de l’inconscience qui me fait immédiatement réaliser que ce type est fou à lier, je sens  bien qu’il veut à tout prix faire dévier la conversation hors du cadre de Ma Personne… Mais de quoi d’autre veut il bien parler…?!!! Ce qu’il m’explique gaiement ensuite me laisse coi et pantelant…
Pour faire court, monsieur a horreur du Théââââtre, cet art incompréhensible, désuet et suranné, qui l’ennuie à mourir, pratiqué selon lui par les « has-been » du métier qui trouvent là un ultime espace d’expression poussiéreux devant un public clairsemé et somnolant. Dernière humiliation avant le grand plongeon dans le gouffre sans fond de l’oubli définitif…(sic)  Non lui, son truc c’est la télé ! Voilà où ça se passe ! Dans une longue diatribe insensée que j’avale amèrement, il m’explique que j’ai eu tord d’arrêter les « Snipers de l’info » et que cet acte inconsidéré portera un coup fatal à ma carrière déjà vacillante… J’essaie de lui expliquer que l’émission s’est arrêté non pas de notre volonté mais suite aux pressions incessantes qu’exerçaient nos concurrents d’antenne, bouffés par la jalousie et la rancœur devant le succès incommensurable que remportait notre programme.
Mais l’homme n’entend plus rien… Il poursuit, la lippe baveuse et l‘œil luisant, en me jetant à la figure que je devrais prendre exemple sur… Jeff Carias… au lieu de me perdre dans le désert qu’il pense que je traverse. Homme insensé… Puis, dans un sourire gourmand, il fouille dans la poche intérieure de sa veste « fossile » odorante et mitée, et en retire vivement une espèce de pièce de cuir sale et boursouflée qui avait du être, au temps jadis, un portefeuille. En deux temps trois mouvement, il en extirpe à l’aide de ses doigts tachés de cambouis (ou peut être pire…) une photo de toi. Sur le cliché, tu arbores crânement un sourire machiavélique et lumineux. Je vacille intérieurement ne sachant comment réagir à ce crime de « lèse-majesté ». Le « bonobo des ruelles » , me raconte qu’il suit scrupuleusement tes faits et gestes depuis belle lurette et que la moindre de tes apparitions sur un écran de télévision lui met le cœur en joie. Il t’adore. Il t’adule et te vénère comme le Christ. Plus que le Christ! Car lui ne passe pas à la téloche ! Il te trouve beau, grand, bien coiffé, magnifique, génialement drôle, plein d’esprit et de répartie. Il lâche même dans un sanglot à peine retenu, qu’il aurait aimé avoir un fils ou même un neveu comme toi…
Il te cherche. Partout. Tout le temps. Il veut te voir, te suivre, entendre ta voix. Il me demande fiévreusement de lui communiquer, ton numéro de téléphone, ton adresse et les lieux que tu fréquentes. Je lui rétorque d’une voix blanche que tu es en Terre Adélie en ce moment et que ton portable ne passe pas à cause du froid. Il n’en croit rien et devient dangereusement insistant, voir menaçant… Les larmes aux yeux, je lui explique (c’est de bonne guerre) que l’image qu’il se fait de toi est erronée. Que tu es un tyran absolu et cruel avec tes subalternes, que tu abuses sexuellement de toutes tes secrétaires, tes assistantes et de leurs mères âgées et grabataires, que tu exploites jusqu’à l’épuisement (sans les payer) des étrangers en situation irrégulière pour faire le ménage chez toi. Sortes d’esclaves que tu dénonces sans scrupules ensuite aux autorités des que ces pauvres gens émettent la moindre plainte sur leur sort. Je rajoute que tu es à la tête d’un vaste trafic d’organes qui s’alimente en chair fraiche et enfantine dans les rues sordides des favelas de Rio, que tu t’adonnes aux stupéfiants les plus durs, que tu organises des orgies géantes dans les cimetières de la ville les nuits de pleine lune, et je finis en lui livrant sur le ton de la confidence, que ça n’est pas toi que l’on voit et entend à l’écran, mais une sorte d’hologramme virtuel animé par un ordinateur qui se trouve en régie finale. Le forcené n’en a cure, il te défend bec et ongles envers et contre tout comme un disciple au cerveau lessivé défend opiniâtrement son gourou… Il trouve des raisons et des excuses aux agissements bestiaux et inhumains que je t’ai mis faussement et traitreusement sur le dos… Et, cerise sur le gâteau, il finit sa plaidoirie en apothéose en m’affirmant comme une vérité cinglante que le talent pardonne tout !
J’enrage ! J’en ai assez entendu… Je le repousse pour aller me perdre dans la nuit en maugréant que moi aussi j’ai un grand rôle dans une série policière à succès sur France 3, mais il me colle aux basques en rétorquant de la façon la plus insidieuse qu’il ne m’a jamais vu nulle part et puis que toi tu passes sur TF1, « LA » grande chaîne française. Celle des Winners, des Stars, des Grands… Tout en marchant vite, alors que je ne l’écoute plus, il m’exhibe sous le nez un vague torchon de papier qu’il tient comme une relique sacrée sur lequel je déchiffre difficilement une écriture grossière. C’est une lettre, qu’il prétend t’avoir adressée et où, dans un français de charretier médiéval, il t’invite au restaurant ce qui serait pour lui la récompense ultime de toute une vie d’idolâtrie forcenée… Je ricane en lui disant que tu ne lui répondras jamais, et que même si dans un moment de pure folie, tu acceptais son invitation, tu t’arrangerais sournoisement pour qu’il paie l’addition… Il me dit qu’il s’en fout, que c’est à lui de payer et puis que de toute façon tu as déjà accepté. Il reste juste à trouver un créneau dans ton planning de ministre, où le pauvre erre croit qu’il va figurer entre un rendez vous avec Sarkozy et Nonce Paolini… Je suis excédé et je le lui fait savoir vertement. Le ton monte brusquement. Il me suit toujours en riant et en me moquant. Il prend des passants à témoin en leur demandant si quelqu’un me reconnait. La réponse est toujours là même. Non.
C’en est trop d’humiliation. Je pleurniche sous les sarcasme de ton fan surexcité qui visiblement veut ma perte. Soudain, au coin d’une rue sombre, je perds tout contrôle de moi-même. Les yeux injectés de sang, j’agrippe mon tourmenteur par le colbac, le tire violemment dans un recoin obscure. J’arrache sa lettre et la photo de toi et les lui enfoncent au fond la gorge avant de l’étrangler puissamment jusqu’à ce que mort s’en suive… Reprenant péniblement mon souffle, je réalise ce qu’il vient de se passer… J’ai tué « ton » fan jeff… Dieu puisse me le pardonner… Je suis perdu… Mais heureusement, personne n’a été témoins de l’assassinat.
Je jette hypocritement un œil de droite et de gauche. Personne. Normal, nous sommes à Marseille, un samedi soir. J’entend le clapotis de l’eau qui vient mourir sur le quai du Vieux Port. Un dernier regard puis, sous le regard luisant d’une horde de rats d’égouts, attirés sans doute par l’odeur capiteuse des fèces que l’homme a relâchées généreusement en rendant l’âme, je traine le cadavre encore chaud jusqu’au bord du quai puis le laisse glisser doucement dans les eaux noires, sales et profondes qui l’engloutissent à tout jamais dans les entrailles du néant. Voilà, l’histoire (presque…) telle qu’elle s’est déroulée. Bien à toi Jeff. Azzo le crapaud ;-)“

8 Responses
  1. Tu peux dire merci à Photoshop et à l’équipe de graphistes et techniciens qui a bossé dessus. Ils ont fait un boulot remarquable. Qui devinerait qu’en réalité, sous ce faciès plutôt élégant, se cache un batracien ?

  2. Niaquoue

    Les vrais genies sont, en regle generale, reconnus a titre posthume, alors que Michel Leeb, Sim et Jeff peuvent avoir leur heure de gloire avant.

  3. J’ai le regret de t’annoncer que Sim est décédé depuis un petit moment. Etonnant que tu ne le saches pas. Que fait l’agence Chine Nouvelle ?

  4. Mais « Je » suis connu Cyril ! Un grand nombre d’agents du FISC, de la Brigade des Moeurs et des Stups ont déjà entendu parler de moi, je puis te l’assurer ! Sinon Niaquoué, est-ce que tu penses qu’il y aurait un créneau à prendre pour moi dans un pays émergent tel que la Chine ?

  5. Niaquoue

    Ouais, tu pourrais faire du mime. on t’appelerait le Mime Azzo. C’est bien, Meemasso veut dire crapaud en erection en Chine. Tu me sembles predestine.

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