J'ai testé pour vous “un gîte rural“

maison cassee
Eh oui, cher public, je ne recule devant rien et j’ose tout. Comme disait Audiard : “les cons, ça ose tout. C’est même à çà qu’on les reconnaît.“ Or donc, mercredi soir dernier, j’ai posé mon sac à dos dans une chambre d’hôtes à Boffres, aux confins de l’Ardèche. J’ai été accueilli par le sympathique propriétaire et une employée (le sosie de Michelle Pfeiffer avec 30 kilos de plus, 60 cm de moins, les cheveux courts d’un roux douteux, un nez crochu, des dents jaunes et un triple menton). Elle m’a montré une chambre sans cachet particulier, mais confortable. J’ai posé la question rituelle comme à chaque fois que j’arrive quelque part : “avez-vous le wifi ?“ et le patron m’a répondu que “oui bien sûr, faut aller en bas, dans la salle TV“. Car oui, il y a une salle prévue exprès pour la TV vu qu’il n’y a en pas dans les chambres. J’étais ravi de pouvoir me relier au monde grâce à une connexion ADSL arrivée, on ne sait par quel miracle, dans ce coin reculé de tout. En fait, le wifi fonctionnait uniquement entre le pot à crayon “J’aime l’Ardèche“ et le pot de fleurs rempli de tulipes en plastique, soit une distance de 75 cm, néanmoins suffisante pour poser mon Mac et relever, debout, mes mails. Le patron me propose de boire “un p’tit verre de blanc d’ici“. Je ne dis pas non et je réponds même que “oui, avec plaisir“. En remontant en titubant dans ma chambre, il me demande d’être en bas à 19h30 pour l’apéro (ce que je venais d’absorber n’était donc pas l’apéro). Je passe en m’excusant devant une retraitée qui se trouvait devant Julien Lepers et ses champions. A 19h29, j’entends une voix hurler : “à table !“. Mes 3 estomacs (oui, comme la vache) bondissent d’allégresse et je descends 4 à 4 les 4 marches qui me séparent du rez-de-chaussée. Là, je constate que je suis le dernier à rejoindre la table de bois brut. 8 couples m’attendent en me dévisageant. Sur chaque assiette, un verre contenant une boisson jaunâtre attendent que nous humections nos lèvres : un kir à la châtaigne (note de l’auteur : c’est infecte). Je me saisis de mon verre mais je comprends qu’il est trop tôt car personne n’a encore touché le sien. Je le repose discrètement sur ma serviette et grignote quelques Curly éventés “goût cacahouète“ disposés dans une ravissante assiette en carton. Je guette le signal pour lever mon verre et trinquer à la santé du patron et de sa servante. Erreur. Je suis tombé dans un piège. Ce n’est pas l’heure de l’apéro mais l’heure d’une conférence diaporama sur les trésors de l’Ardèche avec écran plasma et cartographie. En effet, le propriétaire est fan de l’Ardèche. Vraiment FAN. Une sorte d’Ayatollah sauf que lui ne parle que de l’Ardèche et très peu du Coran. Il allume le plasma et se saisit d’une télécommande pour faire défiler des photos flous sur l’écran (une chaumière, un cochon, une montagne, un arbre, un cochon, un ruisseau, un cochon). Il nous raconte (par le menu) sa vie : où il est né, le métier de ses parents, ce que signifie l’Ardèche pour lui, l’histoire de l’Ardèche, les richesses de l’Ardèche, le climat de l’Ardèche, les balades à faire en Ardèche, la sous-préfecture de l’Ardèche, l’orthographe du nom Ardèche etc. L’homme des bois nous explique qu’il est resté en Ardèche par amour du pays car il aime l’Ardèche. Il est indubitable que le souriant paysan aime sa région (la vraie question est : pourquoi ?). Il nous explique qu’on peut faire du Quad sous la pluie, du cheval sous la pluie, du VTT sous la pluie et de belles balades sous la pluie. Je remarque, alors qu’il postillonne comme un nuage dans le ciel ardéchois, que le rugueux maître d’hôtel porte des vêtements d’une saleté rare. On a l’impression que ce sont ses vêtements qui le portent. Son pantalon est tâché de plâtre et de ce qui semble être du jaune d’œuf (de l’Ardèche), son sweat shirt est couvert de boue et de cambouis et un de ses doigts est entaillé jusqu’à l’os. Je prie le ciel que ce ne soit pas lui qui cuisine. Pas de bol. Il est aussi cuistot et il nous annonce fièrement qu’il a préparé un plat “bien de chez nous“ : du gras de porc avec des patates. De la charcuterie en entrée et pour dessert, une salade de fruits au lard fumé. Mes compagnons de tablée n’étant pas en reste, j’ai eu droit pendant tout le repas, à une discussion variée autour de différents thèmes : la beauté de l’Ardèche, le climat dans nos régions respectives, l’alcool que l’on boit dans nos régions et enfin, la “Michelle Pfeiffer d’occasion“ nous a raconté sa vie de majorette car oui, malgré son embonpoint et sa taille de santon, la naine est majorette dans une fanfare municipale. Elle nous a longuement gratifié de son histoire, de ses tournées dans les régions voisines et même à l’international, car, comme le bon jambon, la majorette s’exporte. Elle a continué, sous le feu des questions, en nous expliquant qu’elle était en train de prendre un virage dans sa vie. En effet, elle comptait orienter sa carrière vers les Pom Pom Girls car, explique-t-elle la bouche pleine de pommes de terre gorgées d’huile, “ici, les filles ne savent pas manier le bâton“. Dans un groupe, je ne sais pas si vous avez remarqué, il y a toujours une personne qui prend en charge l’animation, qui refuse le silence. Ce genre de personnes déteste le vide ou le silence alors elles parlent pour 10. A notre table, il s’appelait Gérard et il était négociant en bétail. Il a passé son temps à nous interroger :
Gérard : vous êtes passé par Saint Fortunat pour monter ?
moi : je ne sais plus (intérieurement : “et je m’en fous“)
Gérard : aujourd’hui, on est passé par Saint Fortunat. C’est magnifique. Vous connaissez ?
Moi : non, je ne crois pas (“lâche-moi la grappe 5 minutes, tu veux bien ?“)
Gérard : c’est magnifique. Vous marchez une demi-heure jusqu’à une table d’orientation et c’est magnifique. Vous avez une vue à 360° sur les alentours.
Moi : silence (“tu me vois marcher 1/2 heure pour rejoindre une table d’orientation ? Pourquoi pas une table à repasser tant que t’y es“)
Gérard, voyant que je n’étais pas enclin à démarrer une discussion, fusse-t-elle passionnante, avec lui, le voilà qui se tourne maintenant vers la “Michelle Pfeiffer accidentée“ afin de poursuivre son intéressant tour de table :
Gérard : vous connaissez Saint Fortunat ?
La majorette : à côté du Château de la Tourette ?
Gérard : non, pas loin de la Crumière.
la majorette : sur la route de Bruzac, en passant par le col de la Mure ?
Gérard : attendez que je me souvienne… Jeannine (sa femme), on est passé par le col de la Mure ?
Jeannine : je sais pas mais il faisait froid.
Gérard : c’est pas ce qu’on te demande ! (“pauvre conne, tu me fais honte devant tout le monde et arrête de te gaver de gras de porc !“)
La majorette : en haut de Roumezoux, vous avez pris à gauche ?
Gérard : peut-être… ben on a marché une demi-heure et on est tombé sur une table d’orientation… C’était magnifique.
La majorette : qui veut des patates ?
Gérard s’en est allé interroger un autre couple encore vierge de ces passionnantes questions et qui ne demandait qu’à bouffer tranquille… “Vous connaissez Saint Fortunat ? Hein ? Hé, Monsieur ! Vous connaissez ? Non, parce qu’on a marché une demi-heure et…“
Un enfer. Et je passe sur la majorité silencieuse : une retraitée avec son mari à qui il fallait répéter tout 2 fois (“JE DISAIS, VOUS CONNAISSEZ SAINT FORTUNAT ? HEIN ? NON PARCE QUE VOUS MARCHEZ UNE DEMI HEURE ET…“).
J’ai évité tant que j’ai pu de me mêler à leurs conversations, me concentrant sur le gras de porc qui s’étalait dans mon assiette mais je n’ai pu empêcher une gaffe. Le négociant en bétail m’a pris en traître. Pendant que ma bouche malaxait tant bien que mal, mon gras de porc avec sa couenne, il m’a demandé d’où je venais. J’ai bêtement répondu : “Marseille“ après avoir dégluti précipitamment un morceau viande qui glissa comme un bobsleigh dans mon œsophage. Dès le nom de “Marseille“ prononcé, il a immédiatement embrayé sur la série des “Taxi“ en me demandant si “Marseille était vraiment comme ça“. “Oui, oui“ ai-je répondu. “Sauf que les taxis sont moins rapides et les policiers moins cons“. Il a répondu en souriant quelque chose comme “ah oui, bien sûr…“ (silence de 15 secondes qu’il mit à profit pour chercher un nouveau sujet de conversation… bingo !) Et l’OM ?“. 21h30, je capitulais et je les priais de m’excuser. “La route a été longue vous savez… la moto, tout ça… je suis vanné moi… hein… bon ben à demain ?“ Gérard semblait sincèrement navré de voir son voisin de gauche abandonner la partie. Chez les bavards, on vit comme un échec le départ d’un convive. Comme le comique qui ne provoque par le rire ou la prostituée qui ne donne pas de plaisir, le jacasseur n’aime pas les taiseux. Je le vis du coin de l’oeil se tourner alors vers sa voisine de droite en lui demandant machinalement “Vous connaissez Saint Fortunat ?“ avant de réaliser que c’était sa femme…

6 Responses
  1. Moi je me demande ce que t’es allé foutre à Boffres un mercredi soir… Quelque chose de pas ben propre encore… Enfin… Ceci dit ton récit m’a régalé! J’en reprendrai bien une petite lichette!

  2. jeff

    Je suis allé rejoindre mon compagnon Florent Peyre avec qui j’ai joué (avec succès) quelques sketches à Valence le jeudi soir. Voilà, ce que je suis allé foutre à Boffres.

  3. C’est bien ce que je dis un rendez vous amoureux dans une auberge perdue dans les bois… Bon! j’admets le romantisme de la chose mais enfin quand même… Florent et toi! Tout luisants, badigeonnés de gras de lard des montagnes… Enfin bon… C’est le monde d’aujourd’hui… Si vous cherchez un témoins pour le pacs ou tout autre contrat d’association conjugale comptez sur moi. Soyez heureux les mecs!

  4. jeff

    Je n’ai pas été badigeonné. Le proprio a dit que j’étais tombé dans la marmite étant petit et que je n’en avais pas besoin.

  5. J t aime…
    Te lire c est comme te telephoner et prendre de tes nouvelles.
    Je suis content de voir que ca va bien.
    L avantage c est que je raccroche quand je veux.
    A bientot mon poto.

  6. jeff

    Et je te téléphone tous les jours ! C’est pas de l’amitié, ça ? Bon allez, je raccroche, j’ai plus de forfait.

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