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Rassurez-vous, je ne suis pas tombé amoureux et je ne vous présente pas la photo de l’élue qui aurait remis en marche un cœur à l’arrêt depuis bien longtemps. Non, Renée n’est pas ma fiancée mais si elle n’avait pas 83 ans, je dois avouer que je me serais bien laissé aller à quelques débordements sentimentaux.
J’ai repris du service aux Petits Frères des Pauvres et donc, je passe quelques journées du mois de juillet en compagnie de personnes seules et sans famille aucune. Certaines n’ont plus leur tête, d’autres gatouillent gravement et d’autres encore sont par trop impotentes pour tenir une discussion de plus de 2 phrases sans baver abondamment sur mes chaussures. Et puis… Renée émergea d’une forêt de fauteuils roulants et de déambulateurs, au beau milieu d’une marée de cheveux violets qui faisait penser à une invasion de méduses. Toujours valide malgré ses 83 ans, cette femme au port altier et à l’élégance de souveraine ne présente qu’un seul handicap : elle perd la vue et ne distingue plus que de vagues formes dépourvues de couleurs.
Marchande de glace quand elle était jeune, elle livrait en triporteur dans tout Marseille des crèmes glacées fabriquées par son père de façon artisanale. Elle m’a longuement entrepris sur les parfums de pistache, de vanille, de chocolat et de fraises des bois qu’elle allait acheter au marché et que son père transformait ensuite en savoureuses glaces maison en suivant un procédé ancestral. Elle m’a conté les pains de glace de 12 kilos qu’il fallait aller chercher dans des entrepôts frigorifiques puis ramener à la force des mollets en pédalant sur son triporteur, m’a narré le liège dont étaient entourés les pots de crèmes et qui servait à la conservation du froid durant sa longue journée qui se terminait bien souvent au-delà de 21 heures.
Elle m’a tout expliqué du Marseille d’avant, de ce temps où les gens s’entraidaient et se souciaient les uns des autres. De ce temps où on ne la suivait pas depuis le bureau de poste pour repérer où elle habitait afin de lui dérober sa maigre retraite. Elle m’a parlé d’une époque où la canne blanche attirait la bonté et l’attention de ses contemporains alors qu’aujourd’hui, cet accessoire, loin de la protéger, ne fait qu’inviter les rapaces à fondre sur une belle occasion de se procurer quelques sous sans grande difficulté.
Elle m’a parlé du progrès qui fait aller plus vite et qui donne l’illusion de rapprocher les hommes alors qu’il ne fait que les éloigner en les rendant égoïstes et cupides. Elle m’a parlé de l’époque qui est la mienne, de ce temps où l’amour n’est qu’un concept s’étalant sur les écrans blancs de salles de cinéma et sur les pages de romans de gare.
Je lui ai posé mille questions sur ce temps que je n’ai connu qu’à travers les films de Marcel Pagnol, ce temps où la sécurité sociale n’existait pas, où les femmes seules, veuves de guerre bien souvent, devaient travailler dur pour pouvoir nourrir leurs enfants, mourant trop jeunes, épuisées par le labeur de toute une vie. Je l’ai mise en face de ce progrès honni en lui faisant remarquer que si notre époque n’était pas toute rose, il y avait de quoi se satisfaire d’un certain nombre de changements et de progrès sociaux. Renée a souri de son beau sourire froissé par le temps et m’a répondu : “à mon époque, il n’y avait pas tout ça mais on avait beaucoup mieux : on avait de l’amour et la famille était là pour recueillir celui qui était dans le besoin. Les amis se cotisaient pour payer le médecin… on ne se sentait pas seule comme aujourd’hui. La solitude, c’est vraiment très difficile à vivre, Jeff“ m’a-t-elle fait remarquer pudiquement en évitant de soulever le rideau de sa propre souffrance.
Avant de prendre congé de cette femme au tempérament et à la bonté d’âme exceptionnelle, elle m’a confié qu’elle était devenue aveugle en exerçant son métier. Toute la journée derrière son triporteur, le soleil se réverbérait sur les cloches en aluminium où elle rangeait ses glaces, l’obligeant à plisser des yeux pour se protéger d’Helios… Avec le temps, l’astre a détruit ses vaisseaux sanguins la plongeant petit à petit dans l’obscurité et l’isolement.
J’ai pris son numéro de téléphone en lui promettant d’aller la voir chez elle. Elle a encore des tas d’histoires à me raconter et peut-être quelques glaces à déguster…

Souvenir
Dimanche dernier, j’ai connu la joie de trouver mon cumulus éventré, l’eau se répandant par litres entiers sur mes Weston posées et cirées sur leur étagère. Le salaud m’a lâché pendant que je regardais mon fils jouer au foot. Il aurait pu attendre que je sois là mais il a préféré se suicider dans la solitude de mon appartement. On ne parlera jamais assez de la vieillesse de ces objets qui composent notre quotidien et qui choisissent l’euthanasie pour fuir une existence qui, reconnaissons-le, manque souvent de relief. Et puis fuir, pour un chauffe eau, n’est-ce pas dans sa nature ?
Il a fallu éponger en toute hâte les 150 litres d’eau avec tout ce qui me tombait sous la main : serviettes, peignoir, tapis de bain, draps, j’ai même fini avec un rouleau de Sopalin et un sachet de Kleenex.
Alors que je dressais l’inventaire de mes pertes (2 paires de chaussures transformées en Spontex et une vieille radio de l’épaule que je conservais au cas où un spécialiste me la demande un jour), je suis tombé sur un petit sachet en papier cartonné qui contenait quelques menus objets et quelques écrits.
Comment vous expliquer cela… Il y a des choses dont vous connaissez l’existence mais que vous choisissez sciemment d’oublier. Vous mettez un linge dessus en espérant que votre mémoire l’enfouisse au plus profond de votre cortex cérébral. Chez moi, c’est une fine couche de poussière qui faisait office de voile mais elle fut trop fine pour que mon esprit puisse nier l’existence de ce qu’elle tentait de dissimuler.
Je ne savais pas exactement ce qu’il y avait dans ce sac en papier posé à côté du fer à repasser mais je me doutais qu’il devait contenir des souvenirs d’une autre époque évoquant irrémédiablement chez moi une bouffée de nostalgie. Telle une boîte de Pandore, je préférais ne pas l’ouvrir et ne pouvais me résoudre dans le même temps à m’en débarrasser sans en connaître le contenu. Peut-être y avait-il un paquet de billets de 500 € ? Un lingot d’or ?
Mais ce dimanche, il a bien fallu que j’ouvre ce maudit sac en papier. Ramolli par l’eau chaude du chauffe eau, il avait vaillamment  réussi à traverser les épreuves du temps et les éléments pour protéger son précieux contenu obéissant en cela à une sorte de volonté divine qui voulait que ces souvenirs puissent resurgir à nouveau en pleine lumière. Une sorte d’Arche de Noé en papier, cachée dans ma penderie…
Et les souvenirs m’ont explosé au visage comme une grenade dégoupillée. J’ai lu avec fébrilité les cartes postales, les petits mots manuscrits, reconnu les écritures déliées de leurs auteurs, trouvé un bouton qui avait du appartenir à un manteau féminin avant d’échouer au fond de ce sac, à côté d’une jolie croix en émail.
La question que je me suis posée après avoir traversé un épais brouillard de mélancolie fut celle-ci : que faire de ces reliques d’un temps aujourd’hui révolu ? Les rendre à la personne à qui elles appartiennent ? Les conserver comme des souvenirs d’un temps ancien et heureux ? Les considérer comme des talismans qui me protègeront à tout jamais des mauvais présages ? Les jeter et refermer la poubelle dessus comme pour gommer totalement les lignes carbonées d’un vieux chapitre ?
Devant ces questions auxquelles je n’arrivais pas à répondre, j’ai fait sécher le petit tabernacle de papier et j’y ai replacé cérémonieusement, la croix, les cartes manuscrites et le bouton de manteau.
A la prochaine inondation j’aviserai.

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