Je suis ignare en bricolage ce qui obère, je le sais, toute chance de retrouver un jour une femme qui acceptera de me faire partager sa vie. La caisse à outils est l’élément essentiel que tout homme sur le marché du célibat doit posséder s’il veut trouver un cœur à accrocher. La mienne tient dans le tiroir de la cuisine, rangée à côté des petites cuillères. Au milieu d’ustensiles aussi hétéroclites qu’inutiles comme un pinceau alimentaire n’ayant jamais servi ou bien encore un économe, on trouve un tournevis cruciforme et un autre, parfaitement plat. Voilà tout ce dont je dispose pour entretenir un appartement centenaire.
J’ai conscience d’être agreste en la matière mais malheureusement, ce constat est fait pour durer : je n’aime point m’occuper de choses trop techniques que je considère futiles et dévoreuses d’énergie. Me demander de changer une ampoule revient à enjoindre un tétraplégique de grimper les escaliers de la Tour Eiffel 4 à 4. Je n’y arrive pas et je préfère partir à la recherche d’un ascenseur pour accomplir mon ascension. Mon ascenseur à moi s’appelle Alain et il effectue de gros travaux actuellement dans la chambre de bonne que je suis en train d’aménager avec l’aide de son talent et de ses ouvriers.
Aujourd’hui il vient de passer me voir pour me dire que les travaux touchent à leur fin et que je pourrai bientôt profiter de 20 mètres carrés supplémentaires. Alors qu’il me parlait sur le pas de ma porte, je pensais à l’ampoule grillée située dans ma hotte aspirante et chargée (quand elle fonctionne) d’éclairer les plaques à induction sur lesquelles je fais chauffer l’eau de mes tagliatelles. Je n’osais pas lui demander de la changer de peur de paraître ridicule. Ne pas savoir bricoler pour un homme est une tare provoquant déréliction et honte, une tâche que j’ai préféré lui dissimuler afin de rester sur le piédestal de mes illusions.
Et pourtant, j’ai essayé…. Lorsque je me suis aperçu qu’une des 3 ampoules ne fonctionnait plus, je me suis lancé un défi : la remplacer sans l’assistance de personne. Je vérifiais dans le stock d’ampoules que m’avait constitué Alain lors de la rénovation de mon appartement, que le modèle nécessaire était disponible et je me suis alors saisi d’un tournevis cruciforme pour m’attaquer au démontage des 3 petites vis qui ferment le compartiment en aluminium de ma hotte aspirante afin d’accéder à mon ampoule décédée. Après avoir consciencieusement tourné la vis dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pendant de longues minutes, je m’étonnais que rien ne vienne. Je pesais de tout mon poids sur le tournevis exerçant une pression de plusieurs newtons sur son manche en plastique mais la pointe avait beau tourner, il fallait que je me rende à l’évidence : elle tournait dans le vide.
En approchant mes yeux plissés de cette foutue vis, je m’aperçus alors qu’elle n’avait point de croix sur sa tête mais une sorte de petit carré appelé “vis à six pans creux“ et qu’il fallait une clef Allen pour la démonter (je précise que toutes ces informations ont été récoltées sur des forums que je me suis empressé de visiter, maitrisant mieux le maniement des outils informatiques que ceux vendus chez Castorama).
Les choses se compliquaient et je décidais (très rapidement) de reculer, acceptant sans surprise une nouvelle défaite, capitulant devant le Général Allen. Et me voilà, exsangue, face à Alain qui possède toutes les clefs Allen de la Terre et qui, tel un Dieu de l’Antiquité, est capable de faire tourner toutes les têtes à six pans creux sans aucune difficulté… mais je n’ai pas osé lui demander de jeter un œil et deux mains sur mon ampoule grillée. Pas envie de descendre de mon piédestal ou de subir ses lazzis… On a sa fierté.
Tant pis, ce problème d’ampoule grillée dans la cuisine vient compléter la longue liste des ampoules éteintes à tout jamais qui constellent mon intérieur. Il y a des cadavres de ces étoiles mortes dans toutes les pièces : salle de bain, penderie, chambre, couloir et j’attendrai d’être dans l’obscurité la plus totale pour enfin appeler au secours et sortir du tunnel dans lequel je m’enfonce doucement…