Un accoudoir pour deux

87710762
Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé de combattre pour une chose futile et insignifiante mais qui revêt, bêtement, une haute importance pour vous au point de gâcher une partie de l’instant présent. C’est ce qui m’est arrivé dans le vol Marseille/Dakar.
J’ai un peu honte de m’en ouvrir à vous mais ce blog est ma thérapie, ma façon de devenir un être meilleur et de corriger ces petites imperfections qui me nuisent et au vu du rythme auquel je vais, il n’est pas prêt de fermer !
Ainsi donc, j’étais assis au siège 24C à côté d’un jeune homme noir vêtu d’une veste de velours à la mode (de 1976). J’avais pris possession de mon siège avant lui, ce qui m’autorisait à un certain nombre de libertés au rang desquelles celui de poser mes coudes sur des accoudoirs aussi épais que des bâtons de sucette, du Boeing 777.
J’étais bien, détendu, presque heureux, tout à ma lecture de l’Equipe qui vantait encore les qualités de l’Equipe de France qui ne s’était pas encore vautrée dans le caniveau et les insultes de cours de récré. Mon voisin (le noir) arrive alors à ma hauteur et me fait signe d’un coup de menton, que sa place se situe mitoyennement à la mienne. Je me lève afin de laisser mon compagnon de traversée prendre place sur le siège 24B puis je me rassois prestement. C’est là que le conflit a démarré : je ne pouvais plus poser mon coude gauche sur l’accoudoir que mon voisin avait pré-empté de manière unilatérale et sans aucune contre partie. “Merde !“ songeais-je. J’étais là avant lui, j’étais bien et voilà que j’ai l’impression de souffrir d’hémiplégie, la partie gauche de mon corps ne s’appuyant sur rien si ce n’est le vide et je suis contraint de lire mon quotidien sportif préféré de manière complètement tordue ce qui pourrait provoquer chez moi un début de scoliose.
A partir de cet instant, mon attention n’était plus du tout sur mon journal mais sur la reconquête de ce que j’estimais être MON accoudoir. Au maximum, j’accepterais de négocier sur la base d’un partage équitable de l’accoudoir mais en aucun cas, je ne voulais abandonner ce territoire sur lequel mon coude était confortablement posé il y a encore quelques minutes. J’en appelais à un Grenelle de l’accoudoir ! J’étais prêt à demander une résolution au Conseil de Sécurité mais je ne voulais rien lâcher !
Je me tiens aux aguets, mes sens en éveil comme jamais, je guette le moment pour lancer une attaque surprise opportune et reconquérir mon bien. Plus rien de compte dans cet avion et un barbu d’Al Qaida pourrait détourner l’avion pour le faire s’écraser contre la Tour Eiffel, que je ne lui en voudrais pas. A chacun sa guerre : à lui la religion, à moi MON accoudoir.
J’essaye doucement de placer la pointe de mon humérus contre l’extrémité de l’accoudoir qui se loge dans le fauteuil mais rien n’y fait : j’ai l’impression que mon ennemi a compris la manœuvre et qu’il fait en sorte d’étaler son gros bras pour contrer ma stratégie d’infiltration. “L’enculé !“ pensais-je grossièrement intérieurement. “Attends que Marine Le Pen arrive au pouvoir et tu verras si t’auras l’accoudoir !“ le maudissais-je en oubliant totalement que j’étais dans un avion pour Dakar, son pays natal, et que je ferais mieux de fermer ma gueule et taire mes plus sombres pensées racistes.
Certaines batailles se gagnent de manière totalement inattendue et surprenante. Il y a eu Bir Hakeim en juin 42 qui a vu la victoire des français pourtant 10 fois inférieurs en nombre que les allemands et il y aura maintenant la victoire du Vol AF719. J’ai écrit un nouveau chapitre au fameux ouvrage “L’Art de la Guerre“ de Sunzi dont s’inspireront sans doute les militaires du futur et j’en suis assez fier.
C’est l’hôtesse qui m’a sauvé la mise et qui fut une alliée précieuse dans la lutte acharnée que je menais pour reconquérir mon dû. Quand elle tendit le plateau chargé de victuailles à mon voisin de couleur, celui-ci fut obligé de lever les bras pour se saisir de son précieux repas concocté par les meilleurs vétérinaires d’Air France. Victoire ! Je précipitais mon coude sur l’accoudoir qui me paraissait avoir triplé de largeur désormais que j’avais gagné la bataille. Qu’on y était bien sur cet accoudoir ! MON accoudoir ! Ah ah ! Bon appétit Mister Dakar ! Je déclinais l’offre de l’hôtesse prétextant ne pas avoir faim afin de conserver mon bien si chèrement acquis.
Je crevais la dalle mais tant pis. Un militaire doit savoir se sacrifier pour conserver ses positions et je pensais alors au Général Koening ou au colonel de Castries, mes glorieux ancêtres qui eux aussi, avaient dû connaître la faim dans l’enfer de Libye ou de Den Bien Phû. J’étais leur égal à présent.
Une demi-heure plus tard, alors que l’Oncle Tom digérait son frugal dîner, je fus pris d’une irrépressible envie d’uriner. J’ai eu envie de pleurer… J’ai dû capituler et c’est la queue entre les jambes que j’ai gagné l’étroit cabinet de toilettes de l’aéroplane en songeant à la spoliation dont j’étais en train d’être l’humiliante victime.
Trahie par ma vessie, je voyagerai avec une sonde la prochaine fois.

Archives

libero Aenean sed risus. leo luctus dolor Donec felis sit Praesent

En continuant à utiliser le site, vous acceptez l’utilisation des cookies. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer