I can't give you anything but love…

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Je voulais préciser une chose qu’il m’apparait importante de vous livrer à ce stade de mon séjour outre-Atlantique : je n’écris pas pour être lu mais pour moi. Je sais, c’est assez égoïste comme démarche mais personne n’est obligé de me lire en même temps, non ? Elsa Triolet n’a-t-elle pas écrit un (très beau) livre sur la maladie et la mort de sa mère ? Frédéric Beigbeder n’a-t-il pas raconté les affres de sa vie dans son dernier roman ? C’est le droit le plus ultime de l’écrivain que d’être libre d’écrire ce qu’il veut. N’ayez crainte, je ne suis pas devenu fou et je ne compare pas ma prose à celle des illustres auteurs cités ci-dessus, mais je me réclame de la même démarche, de la même église. J’écris pour apaiser mes tourments intérieurs, exorciser mes angoisses profondes. Ce blog est ma chaire mais ici : ni prêches ni sermons ; des intentions de prières à la rigueur.
Et encore, je ne dis pas tout ! Il y a des histoires que je n’écrirai pas car elles dévoileraient trop de moi. Un jour peut-être, quand je serai un vieux monsieur, j’en ferai un livre. L’envie et l’idée me sont venues l’an dernier : coucher mes douleurs, mes bonheurs, mes craintes et mes espoirs sur papier et puis j’ai renoncé. Il y a des peines qui doivent rassir un peu avant d’être évoquées.
Hier Joyce m’a raconté comment Alan l’avait dragué à l’âge de 20 ans. Elle était employée de banque et travaillait au guichet. Alan venait d’être démobilisé et il rentrait d’Allemagne avec un chèque de “démobilisation“ à déposer sur son compte bancaire. Il y avait 2 files d’attente ce jour là dans l’établissement. L’une d’elle était courte, l’autre démesurément grande : celle de Joyce. Les gens la préféraient car elle avait toujours un mot gentil, un sourire, une prévenance. Alan ne la connaissait pas et il faisait la queue dans la file la moins longue jusqu’à ce qu’il l’aperçoive. Il change alors discrètement de place mais Joyce ne perd rien de son manège et cela l’a rend nerveuse : pourquoi changer brutalement de file alors que la sienne promettait une longue attente ? Arrivé devant la vitre de la jolie guichetière, Alan se met à chanter à voix haute : “I can’t give you anything but love…“. Joyce en reste bouche bée et elle saisit le chèque des mains sans le quitter des yeux. Elle était rouge de confusion et tellement nerveuse qu’au lieu de tamponner le dos du chèque, elle se frappa violemment la main gauche avec son encreur ! Elle en rit encore quand elle me raconte cela. Il l’a invité à sortir un soir ; elle a accepté et ils ne se sont jamais quittés depuis. 43 ans de mariage cette année. J’en aurai 42 cette année et j’ai déjà connu 2 séparations. Drôle d’époque, non ?
J’ai parlé avec Joyce ce soir alors qu’elle préparait à dîner. Une vraie discussion, rien que tous les 2. Je voulais sonder son état d’esprit. Croyait-elle à la guérison ? Non. Plus depuis Noël. Plus depuis qu’il ne peut plus marcher et qu’il perd la mémoire. Son état s’aggrave tellement vite, qu’elle connait l’issu du combat. Le nom du vainqueur, le nom du perdant. “And the winner is…“ Elle est plus forte que ce que je m’imaginais. Elle gère absolument tout et elle m’a avoué qu’aujourd’hui, cela faisait 10 jours qu’elle n’était pas sortie de la maison. J’ai gardé Alan cet après-midi et elle a pu faire des courses pour s’aérer la tête pendant 30 petites minutes.
J’ai réussi à évoquer avec elle l’après Alan“ et ce qui m’a rassuré, c’est qu’elle a abordé la question sans fard. Oui, elle sait qu’il y aura un “après“ et qu’il faudra qu’elle le gère. Bientôt. La maison trop grande, la vie sans lui, les finances etc. Elle m’a confié son angoisse de devoir vivre seule après 43 ans auprès du même homme. Je lui ai parlé de l’envie que je ressentais pour la relation qu’elle avait réussi à tisser avec lui. Elle m’a expliqué qu’il y avait eu des hauts et des bas mais qu’à chaque crise, ils s’étaient posés la question : puis-je vivre sans lui, sans elle ? La réponse avait toujours été “non“ et les années s’étaient empilées comme les étages de la pièce montée qu’ils avaient découpée ensemble à leur mariage.
Elle m’a également dit : “tu sais Jean. Il me manque. Ce n’est plus “lui“ la personne qui dort dans cette chambre médicalisée“. L’enveloppe physique commence à se gommer pour ne laisser que l’essentiel : un homme que nous aurons été heureux de côtoyer toutes ces années.

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