Le réveil

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Je ne sais pas trop par quoi commencer ce matin (il est 11h30). Confusion des sentiments. Maelström d’émotions. Je suis finalement arrivé en taxi à 7h00 du matin heure française. 25 heures après m’être levé en France. Je n’ai pas fait de bruit car je ne voulais pas réveiller Alan qui dormait. Joyce m’a accueilli avec un grand sourire et m’a demandé si j’avais faim avant de me laisser me poser dans la chambre qui appartenait autrefois à Kim. J’étais fatigué mais pas assez pour ne pas penser à lui. A la “rencontre“. J’en avais envie et dans le même temps, je craignais ce que j’allais trouver. Joyce est venue à la porte de la chambre pour m’annoncer “he wants to see you“. La gorge nouée par l’angoisse, j’ai pénétré dans leur chambre en me concentrant sur ce que m’avait dit quelques bonnes âmes en France : “regarde ses yeux“. Je ne les voyais plus. Son visage était si boursouflé qu’il en était méconnaissable. Les stéroïdes sont responsables de cela m’a-t-on expliqué. Il prend 24 médicaments par jour. Une énorme cicatrice fend son crâne en 2, stigmate d’une opération réussie mais qui n’a pas servi à grand chose au final. C’est surtout l’extrême fragilité de sa personne qui m’a choqué. Il était allongé sur un lit d’hôpital installé dans sa chambre. Il m’a tenu la main plutôt que serré car il n’a plus guère de forces. Il m’a regardé, m’a souri et c’est tout. Son sourire était bavard et il en disait plus long que n’importe quel discours d’accueil. J’ai fait mon show, racontant en riant mes longues heures d’attentes en critiquant avec humour les transports aériens américains ce qui l’a fait rire.
Il est fatigué comme je ne l’ai jamais vu. Il passe ses journées allongé ou assis, se déplaçant dans un fauteuil roulant et ne pouvant se lever seul sans l’aide de sa femme et d’un déambulateur. Il a 69 ans et ne sort plus de chez lui. Alors que son père est mort à plus de 100 ans et sa mère à 93 ans, il perd la mémoire des mots et je le vois s’agacer quand il essaye en vain de finir une phrase, cherchant les mots simples qui lui manquent. Alors je baisse les yeux et enchaîne sur un autre sujet avec l’espoir qu’il arrive au bout de ses pensées. Chaque geste est dicté par sa femme : “pose la main gauche sur l’accoudoir gauche. La droite maintenant. A trois, appuie-toi sur le déambulateur etc.“ Il a besoin qu’on lui dise ce qu’il doit faire car il ne sait plus comment les faire. Le moindre geste est une épreuve olympique pour lui. Parfois, il inverse les gestes qu’il lui faut alors recommencer. Joyce est en train de l’habiller après lui avoir pris sa tension : la journée est rythmée par la prise des médicaments et les siestes. Le simple fait de l’habiller prend 30 minutes car chaque geste est très lent. Je suis allé faire les courses pour eux au supermarché d’à côté, cela aide un peu mais j’aimerais pouvoir faire plus. J’ai du mal à le regarder car je ne le reconnais plus. Il est là, à 2 mètres en face de moi. Il s’est assoupi. Ce n’est plus l’homme à qui j’ai parlé au mois d’août dernier ni celui qui figure sur les photos qui meublent la maison qu’il a en partie construite. Je regarde ces photos et je me dis que cet homme là n’est déjà plus. C’est irrémédiable.
J’ai un peu parlé avec lui ce matin en tête à tête, posant comme à mon habitudes, les questions de manière franche : pourquoi ne marches-tu plus ? Qu’as-tu oublié ? Je lui ai dit pourquoi j’étais venu. J’ai fait une comparaison avec mes voyages au Bénin. Que ma démarche était également égoïste et que j’avais besoin de réaliser que ma vie était belle. Il m’a coupé en m’affirmant Jean, you’ve a wonderful life“. Je grave cette phrase quelque part. Ils m’ont demandé de leur montrer le film que j’ai réalisé au Bénin et je leur ai projeté. Je peux écrire qu’ils étaient heureux de voir ce film.
Je voudrais terminer sur Joyce. Ce que j’ai vu par dessus tout ce matin depuis mon réveil, c’est de l’amour. L’amour d’une femme pour un homme après plus de 40 ans de mariage. Chacun de ses gestes est inspiré par l’amour. Elle repositionne un coussin sous les lombaires de son mari, lui apporte un verre d’eau fraiche, un bol de chips, l’habille, le soulève, pousse son fauteuil roulant en souriant et elle porte sur lui le même regard qu’elle devait avoir lorsqu’elle est tombée amoureuse de ce jeune soldat de l’armée américaine. Il n’arrête pas, à chacune de ses attentions, de la remercier et c’est tout simplement beau. Une femme me disait il y a quelques jours que la phrase pour le meilleur et pour le pire“ prononçait par un prêtre lors des mariages la faisait doucement rigoler et bien moi, cela m’émeut. J’ai vu de l’amour ce matin et c’est un merveilleux spectacle.

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