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fait divers
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L’autre jour, j’ai vu défiler une brève sur l’écran de mon ordinateur qui reçoit (avec mon consentement) à un rythme régulier et soutenu, des infos susceptibles de m’intéresser (ou non). Qu’un résultat sportif de mon équipe préférée soit connu ou qu’un connard fonce avec son camion, au nom de son dieu, sur des piétons innocents et je suis au courant dans la seconde.
Il est important de planter le décor dans une histoire même si j’ai bien à l’esprit que je n’aurai jamais le talent et la virtuosité d’un Truman Capote.
J’étais sur mon ordinateur quand je lus la brève suivante : “Un homme de 97 ans agressé violemment à son domicile par 5 individus cagoulés“. Intrigué par le sordide, sentant la bonne odeur d’un fait divers bien sanguinolent, je cliquai sur le lien me permettant d’avoir accès à la totalité de cette misérable histoire.
Un homme, un très vieil homme, né sous les bombes de la première guerre mondiale et fêtant sa majorité sous les bombes de la seconde, avait été roué de coups par 5 individus masqués qui ont retourné tout l’appartement pour s’enfuir avec un butin de… 400 €. Oui vous avez bien lu : ils sont partis avec 400 € en liquide, oubliant sans doute que les retraités de la France d’aujourd’hui ne sont pas des nantis (sauf s’ils ont été sénateurs ou députés durant leur vie active). L’homme a été hospitalisé dans un état grave car à 97 ans, l’organisme a du mal à résister aux coups de poings et de pieds que les 5 gaillards lui ont asséné.
Après avoir lu cette histoire qui m’a traumatisé, j’ai essayé de pénétrer dans la tête de ces criminels. J’ai tenté de me placer dans leur cadre de référence et d’imaginer la scène de leur point de vue à eux, à la manière d’une caméra subjective.
D’un naturel curieux et ouvert, je peux comprendre qu’on ait besoin d’argent. Je peux également comprendre qu’on soit prêt à le voler et d’utiliser la force si besoin mais… quand je me serais aperçu, à travers les trous de ma cagoule, que le monsieur qui m’ouvrait timidement la porte pensant avoir à faire au facteur venu lui porter un colis, était un vieillard, un papi comme celui que j’aurais peut-être encore, n’aurais-je pas hésité un instant avant de m’engouffrer avec mes comparses dans l’appartement ?
Devant ce vieux monsieur à la peau parcheminée, devant son regard hébété puis effrayé par la horde sauvage cagoulée qui se dresserait devant lui, n’aurais-je pas choisi de battre en retraite ? “Allez les gars on laisse tomber ! On se casse ! Il est trop vieux ce mec !“ Non ? Allez, je continue mon expérience de fausse réalité virtuelle, je remets mon masque 3D et je replonge dans l’esprit malade de mon équipée sauvage.
J’aurais pénétré dans l’appartement après avoir frappé au visage son locataire qui faisait mine de brailler. J’aurais mal à la main car il n’y a plus trop de chair sur la peau d’un vieillard pour amortir un poing ganté (pour les empreintes, bien sûr ! J’aurais grandi en biberonnant des séries américaines alors je m’y connaitrais en braquo). Je maudirais l’homme à terre qui saignerait abondamment de la bouche et du nez car il m’aurait fait mal ce con ! C’est fou ce que ça saigne un vieux quand même. J’aurais pensé que, comme tout le reste, le sang s’asséchait un peu avec les années mais non… De colère, je lui enverrais un coup de pied dans les côtes pendant qu’il gémirait au sol cherchant les lunettes que mon comparse se serait amusé à écraser sous la semelle de la dernière paire de Nike à la mode. Je glisserais alors dans son oreille envahie par des touffes de poils blancs une phrase destinée à lui glacer le sang :  “si tu cries, je te plante“. Je me foutrais bien de savoir s’il est cardiaque ou non, je ne serais pas là pour lui faire un check up. Ce qui m’intéresserait, c’est la thune, son fric à ce vieux sac d’os !
Je fouillerais tout, renversant le matelas, déchirant la toile de mon cran d’arrêt pour voir s’il n’y aurait pas des Sicav cachées quelque part, des lingos d’or ou carrément des billets violets tout neuf. Je ne remarquerais pas le vieux poste de télévision à tube cathodique, le canapé décati posé sur un lino qui s’étiole. Je ne remarquerais pas la crasse, la table de cuisine en Formica, la tapisserie posée il y a plus de 30 ans, sans doute quand le vieux prit sa retraite et qu’il avait encore l’énergie de changer d’intérieur, de “démarrer une nouvelle vie“ avec son épouse.
Cela puerait la pauvreté, l’économie, la petite retraite. Ça suinterait le vieux, la misère et les minima sociaux. Je n’aurais pas vu non plus, aveuglé par ma cupidité, le portrait de cette femme sur un camée posé à côté de bibelots que j’aurais pris grand plaisir de renverser sur le sol. Je n’aurais pas compris que les portraits de cette femme que mes camarades jettent à présent sur le sol et piétinent avec rage, cherchant frénétiquement un coffre à ouvrir, seraient les seuls souvenirs que le vieil homme conserverait de sa femme qui l’attend là-haut, sous des cieux plus tranquilles.
Puis, je mettrais enfin la main sur 400 € qui traineraient dans un tiroir ; sans doute de quoi payer en liquide quelques courses chez Lidl et le plombier qui doit venir réparer la chaudière qui ne marche plus très fort. Je sifflerais mes copains en leur montrant, joyeux et fier, la liasse de billets de 20 et 10 €… Ils ne seraient pas violets ces putains de billets mais ça ferait l’affaire.
On partirait en courant, on s’arracherait, encore plein d’excitation de notre “opération“ réussie. On grimperait dans une voiture qui nous attendrait moteur allumé pour nous emmener loin d’ici et l’adrénaline ferait encore son effet lorsqu’on essaierait de calculer (de tête) ce que 400 € font lorsqu’ils sont divisés en 5 parts égales.
On n’aurait jamais été très fort en maths à l’école alors on s’y mettrait à plusieurs et puis, devant la variété de chiffres résultant de ce brainstorming improbable, je me déciderais à utiliser la calculette de mon téléphone portable : 80 €. Cela ferait 80 € chacun. Il y aurait un silence pesant suite à l’annonce de notre salaire net. On se serait attendu à plus… On rêvait plus fort que ça. A ce pactole, il faudrait aussi enlever les frais de notre funeste expédition : les cagoules achetées sur le marché aux puces, un jerrican d’essence pour incendier la voiture… Il nous resterait 70 € chacun… facile. Une fortune.
Je me demande s’ils ont eu des remords… après ; toute effervescence bue. Je m’interroge sur leur capacité d’empathie à l’égard du vieux monsieur qu’ils ont du enjamber dans l’entrée en riant, avant de prendre la fuite.
J’aimerais croire qu’ils ne se sont pas sentis très fiers de leur sale besogne. J’aurais envie de penser que Stanley Kubrick n’a pas été visionnaire quand il a tourné “Orange Mécanique“… en 1971.

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