Un cadeau foireux

 
days of wonder jeu de str
Je suis le spécialiste des cadeaux foireux, des présents qui n’atteignent jamais leur objectif, leur fonction intrinsèque : faire plaisir. Je ne sais jamais quoi acheter à mes enfants ou aux femmes qui comptent pour moi et les dates d’anniversaire et autres rendez-vous commerciaux annuels me donnent de l’urticaire, provoquant immanquablement panique et effroi. Ainsi, lors des dernières fêtes de Noël, je pensais avoir trouvé THE cadeau à mon garçonnet que j’adore plus que tout. Le petit blondinet que j’essaye d’élever à l’écart du chaos du monde, est passionné par les deux guerres mondiales et il n’a de cesse de lire et de se documenter sur les combattants de ces deux périodes peu glorieuses pour l’humanité. Uniformes, types d’armes utilisés, outillage, avions, navires, camions, casques… rien n’échappe à sa sagacité et je dois subir, immobile et silencieux, ses longues envolées sur le fusil américain Garand M1 et la comparaison détaillée avec son cousin germanique. Parfois, j’ai le droit à des questions du genre : “pourquoi les casques américains avaient un filet qui les recouvrait ?“, “pourquoi les Gi’s n’avaient pas de gilet pare-balles ?“, “pourquoi Hitler levait tout le temps le bras droit ?“… Parfois, j’invente une réponse pour voiler mon ignorance mais le plus souvent je vais chercher l’information sur internet afin de lui donner le goût du savoir.
Alors que je faisais péniblement mes courses de Noël, je suis tombé chez l’enseigne Joué Club sur un jeu de société qui avait l’air “trop sympa“ en plus d’être éducatif. Mémoir’44 vous permet en effet (dixit le petit laïus rédigé par l’équipe marketing de la société d’édition) de recréer les différentes grandes batailles du débarquement de juin 1944. Le dessin figurant sur la boîte est évocateur et on se dit qu’on va passer des dimanches passionnants à “jouer à la guerre“ si tant est que cette terminologie à la frontière de l’oxymore ait du sens. Faisant la queue à la caisse, ma boite de jeu dans les mains, je m’imagine déjà face au visage d’ange coiffé de cheveux aussi blonds que les blés. Je nous vois lancer les dés, tirer des cartes, avancer des pions alors que mon ainée fait sauter des crêpes en nous écoutant affectueusement nous étriper sur la table de la cuisine transformée en Omaha Beach le temps d’un après-midi pluvieux.
Nous n’avons jamais joué à Mémoir’44. Le jeu de société avait beau avancer qu’il se pratiquait “à partir de 10 ans“ et que, je cite : “très facile à apprendre, rapide (30 minutes). Ludique, pédagogique et divertissant, Mémoir’44 réunit toutes les générations autour de la table.“ Et mon cul, c’est du tofu ? ai-je envie de répondre au risque de paraître vulgaire. En effet, ayant ouvert la boîte quelques heures après l’avoir déposée au pied du sapin, je me suis plongé dans la règle du jeu et j’ai alors compris que je m’étais encore fait avoir par le dieu marketing. La notice comptait 24 pages format A4 et après l’avoir lu de bout en bout (enfin presque… j’ai lâché après la page 15), je n’ai RIEN compris au principe du jeu. J’avais 180 figurines devant moi, ainsi que des tanks, des canons, des cartes “mission“, un dé, un plateau de jeu avec des formes géométriques dessinées mais je n’avais aucune idée de ce que je devais en faire.
J’angoissais à l’idée que mon fils me propose de faire une partie. Heureusement, l’amoncellement de cadeaux qu’il reçut de la part de sa famille lui fit oublier un temps son jeu de société. Je n’étais pas vexé, bien au contraire : j’étais ravi que d’autres que moi aient mieux su choisir leurs offrandes. Je dois même avouer ingnominieusement (n.d.a. : 10 € à celui qui arrive à placer ce mot au Scrabble) que je suis allé jusqu’à cacher Mémoir’44 au fond d’un tiroir de sa commode, sous l’indémodable Puissance 4 (dont je maitrise parfaitement les règles) et quelques boites de puzzles couvertes de poussière.
Mais cela ne dura pas… Un jour, j’entendis mon fils cavaler dans le couloir de notre appartement et me lancer, l’air ravi : “papa, on n’a jamais joué à ce jeu !“. Il tenait la maudite boîte dans ses mains d’enfant et il affichait un regard plein d’excitation alors que je le vouais aux gémonies. Il rêvait déjà de champs de bataille en Normandie et pensait avec malice à la stratégie qu’il allait lui falloir mettre en place pour écraser son père. Je pris un air contrit et lui intimai de s’assoir à mes côtés, sur le canapé où tant de drames personnels se sont joués.
“Fils, j’ai à te parler et il va falloir que tu sois courageux… J’ai lu, ou devrais-je dire “compulser“, la notice de ce jeu et j’en suis arrivé à la conclusion que tu ne pourras y jouer qu’à la condition de réussir le concours d’entrée à l’école Polytechnique. Tu es actuellement en 6e et il va donc falloir t’armer de patience et te mettre à bosser sévère à l’école.“ Il parut déçu. Normal. Son père lui avait encore acheté un cadeau foireux.
J’eus alors l’idée de le vendre sur internet. Il est parti à la moitié de son prix vers la Bretagne où un polytechnicien ou un érudit armoricain a flairé la bonne affaire.
J’ai glissé dans le paquet que j’ai envoyé, un tube de Nurofen contre les maux de tête et j’ai acheté des Playmobil à mon fils avec l’argent perçu de cette vente peu glorieuse.
La semaine prochaine, c’est l’anniversaire de mon frère…

27 Responses
  1. Je déteste Noël, surtout quand je n’ai pas mes enfants. Ça sent à plein nez, le plateau repas seul devant la TV… A moins que je ne trouve un hôtel cosy avec une cheminée en Irlande pour lire tous les livres que j’ai à lire.

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