Le postillon de la mort

Chaussures bousilllées e1370976894233
Vous avez pris l’habitude de lire les petits tracas du quotidien qui me sautent régulièrement à la gorge tel le morpion sur la toison pubienne du légionnaire revenant de permission. Je vous confesse ces mésaventures autant pour en rire que pour vous aider à mieux gérer ces petits moments de solitude auxquels nous sommes tous confrontés dans nos vies.
J’étais hier soir dans un de ces endroits sentant bon le neuf et la culture. Un tout nouveau musée qui vient d’ouvrir ses portes à un public bigarré totalement béotien en matière de culture, plus accoutumé à venir applaudir des joueurs de foot courant sur du gazon qu’à s’extasier devant des peintures du XVIIIe siècle. Le musée était privatisé pour l’occasion et une réunion regroupant quelques happy few marseillais dont je fais, à ma grande surprise, partie avait lieu pour clore le bilan annuel d’un club de chefs d’entreprises dont la Broken Arms Company est un acteur insignifiant mais historique.
Alors que je discutais avec un personnage important (je n’adresse la parole qu’à des puissants ou des esprits brillants susceptibles de saisir la substantifique moelle de ma pensée), un serveur est passé les bras chargés d’un plateau offrant à nos papilles avides des cuillères de chair de crabes aromatisée d’un jus de citron et de je ne sais quelle épice. Mon interlocuteur et moi-même nous sommes saisis promptement de cette gourmandise que nous avons bien vite engloutie avant de reprendre le fil de notre conversation qui était littéralement passionnante (je lui parlais de ma pièce). Et c’est là que le drame est arrivé… Alors que je tentais de fixer le regard de l’homme qui se tenait devant moi, les yeux camouflés derrière d’épais verres fumés, j’ai vu expulser de sa bouche un énorme morceau de crabe qui après avoir décrit une trajectoire parabolique, a plongé à pic devant moi, évitant ainsi de souiller un visage qui fait les beaux jours de la télévision locale.
Quand arrive ce genre de désagrément, il y a deux solutions pour le “lanceur d’engin“ : feindre de n’avoir rien vu ou bien s’excuser rapidement avant de poursuivre sa discussion l’air de rien, en essayant tant bien que mal de ne pas rougir. Mon correspondant choisit l’option n°1 et je l’aidais à assumer sa gêne en donnant la réplique à son mutisme. Je faisais, moi aussi, comme si de rien n’était, un peu à la manière d’un astrophysicien qui feindrait d’ignorer un énorme météorite se dirigeant vers la Terre. Pour réussir cela, il faut beaucoup de sang froid et une grande maitrise de ses nerfs car on serait tenté de s’écrier en pareille occasion : “waou ! C’est énorme ! Tu as vu le morceau que tu as craché ! Fais gaffe, merde, tu pourrais blesser quelqu’un !“.
Quand un événement comme celui-ci arrive entre 2 hommes, le fil de la discussion est rompu et chacun cherche un échappatoire pour cacher son embarras (lui) et son désarroi (moi). On se moque éperdument de ce qu’il se passe autour de soi et les propos échangés n’ont plus aucun intérêt, n’arrivant pas à combler le profond malaise qui s’est creusé à la foreuse thermique entre les protagonistes.
C’est alors, en baissant subtilement la tête afin de regarder où l’arme de catégorie IV avait atterri, que j’ai constaté avec effroi que le steak de crabe avait choisi la pointe de ma chaussure en daim neuve, pour venir s’échouer. Je relevais alors la tête d’un coup sec et serrais les dents afin d’éviter de pousser un hurlement primaire et contenir une légitime colère. L’envie de me saisir d’une serviette en papier pour essuyer les restes du crustacé devint irrépressible mais je me l’interdisais car cela reviendrait à briser l’omerta que nous avions instauré lui et moi : “je n’ai rien vu et toi non plus, puisque tu ne t’es pas excusé“.
Dès lors, je ne pensais plus qu’à une seule chose : ma chaussure. Je me posais mille questions à son sujet : combien de temps faudrait-il à la déjection d’animal marin pour imprégner le cuir de ma chaussure ? Comment nettoyer la chose ? Avec de l’eau ? A sec ? En brossant le cuir avec un chiffon doux ? Je n’écoutais plus UN MOT prononcé par le terroriste qui avait lâchement salopé une chaussure portée seulement 2 fois et je rêvais d’une intervention de l’OTAN ou plus simplement d’une attaque de drone chirurgicale pour éliminer mon tourmenteur… mais le ciel resta clément.
J’ai patiemment attendu qu’une troisième personne se joigne à nous avant de disparaître en lançant un commode et commun “je vais me chercher à boire !“, soulageant du même coup mon profanateur qui voyait s’éloigner le seul témoin de sa goujaterie.
Je fonçai aux toilettes pour me débarrasser de cette immondice et me suis promis de venir en bottes en caoutchouc la prochaine fois que je me rendrai à une réception !

68 Responses
  1. cambresine

    Joli Jeff et tellement vrai !j’ai eu l’impression en lisant d’y avoir assisté !
    Quand le même genre de choses arrive dans des milieux modestes (et pourtant polis) ce n’est pas si compliqué!: l’un s’excuse,l’autre va vite laver sa chaussure et la maitresse de maison navrée s’inquiète sur la qualité de ce qu’elle a servi! et la fête reprend !
    Pourquoi nous compliquons nous autant la vie sous prétexte que l’on pense que l’on est au dessus des autres? (hauts de gamme pour reprendre une expression tellement imbécile !)
    n’empêche félicitations pour ce magnifique et si vivant texte !

  2. Philippe L.

    trop bon de pleurer de rire en te lisant au boulot…
    Achete toi des Nebulloni special cocktail qui ne craignent pas les intempéries…
    Love mon ami

  3. Anne-Laure

    tu as la loose quand même! Prochaine fois, mets des bottes de pluie.
    Tu n’auras plus besoin de partir aux toilettes.il en existe en plus effet cuir, croco… Tu passeras pour un chic aventurier de l’extrême .
    🙂

  4. marianne

    Belles les godasses, c’est con….. tu as vu, je sais me tenir moi, que du liquide et à la paille ! Aucun risque de profanation.

  5. cambresine

    JEFF ! pour les chaussures je crains que la seule solution soit de les teinter dans un ton légèrement au dessus de celui d’origine !
    Mais vaut mieux faire appel à un professionne pour cette délicate mission !

  6. haight harvey

    ça pourrait etre pire ………. comme le type qui pête en silence et qui te regarde d’un air soupçonneux et dans les toilettes le type qui vient de pisser….il a ouvert sa braguette il a tiré sur son pan de chemise vigoureusement et c’est pissé dessus ! tu vois ……il faut rester pragmatique .

    1. Tu es extraordinaire Poupinette ! Quand on croit que tu as touché le fond, tu arrives à nous surprendre en creusant encore un peu plus profond. Encore un petit effort et tu vas trouver du gaz de schiste !

    1. Et bien je croyais que non. J’ai même cru qu’un copain me faisait une bonne blague mais il s’avère que j’avais tort et qu’elle existe bel et bien. Cela fait peur, je le sais, surtout quand on sait qu’elle élève un enfant. Je milite depuis longtemps pour l’instauration d’un permis de faire un enfant. On nous oblige à passer des tas de permis dans la vie. Pour conduire une voiture, piloter un bateau, un avion, une moto, il existe même des permis pour pêcher ou chasser… mais faire un enfant, tout le monde le peut. Effrayant, non ?

    1. Lolobuz, dévouez-vous et acceptez un rendez-vous avec elle ! Je vous en supplie. Prenez-le comme une étude clinique, une expérience scientifique sur un mammifère encore inconnue. Percez le mystère Poupinette, Docteur Lolobuz ! Vous nous ferez une thèse ensuite et je vous promets de vous publier ici même.

  7. Lolobuz

    c clair . certains attendent des années avant d’avoir un gamin et d’autres se reproduisent comme des lapins

    1. Le pire, je crois, est de voir des femmes intelligentes ne pas arriver à enfanter alors que d’autres… moins bien pourvues dirais-je pudiquement, y arrivent sans difficulté. La vie est parfois bien injuste.

    1. Mais c’est là où je vous donne tort ! Tous les êtres vivants ont un cerveau. La tâche qui vous incombe est de le trouver ! De le tester et de mener une étude poussée afin d’établir un diagnostic précis quant aux raisons qui ont poussé cette jeune personne dans un état de comas cérébral. On compte sur vous.

    1. Non. J’ai essayé une fois, souvenez-vous. Poussé par une curiosité insatiable je lui avais fixé un rendez-vous mais la Créature a annulé au dernier moment (je me suis senti vernis car habituellement, elle ne prévient pas). A votre tour.

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