Mon fils, ma bataille

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Lorsque je promets une chose à mes enfants, je tiens toujours parole. J’accorde beaucoup d’importance à la parole donnée et j’essaye de les éduquer dans ce sens en leur transmettant le “code Carias“ qui indique, à l’alinéa 12 , qu’une promesse est une promesse et qu’il n’y a rien de pire que de ne pas la tenir.
Ce préambule pour vous expliquer que j’avais fait la promesse à mon fils qui partait en classe “verte“ lundi matin à 8h30 d’être présent pour le serrer dans mes bras avant que l’autocar ne l’emmène loin de moi durant une longue semaine. Mon planning de ce matin était pourtant serré comme une négociation sur l’augmentation du temps de travail avec des marins CGT de la SNCM. Après avoir embrassé mon fils, je devais filer à France 3 pour embarquer à 9h00 dans une voiture de la station devant m’emmener à Tarascon pour un tournage. Hélas, rien ne se passa comme prévu…
Quand le haut parleur de la cabine que je partageais avec 2 de mes camarades, cracha un message lu par un steward du ferry sur lequel j’avais généreusement réussi à dormir 3 heures, j’ai compris que le beau programme compressé dans un créneau si étroit, éclatait en mille morceaux. “Bonjour à tous, il est 7h15 et nous arriverons à 8h00 sur le port de Marseille, veuillez pensez à…“ 8h00 !!! Nous allions accoster avec une heure de retard à Marseille et ensuite, il me faudrait encore sortir du navire (j’étais garé en haut et donc, je devais attendre que tout le pont inférieur soit libéré… quand rien ne va…) puis circuler au milieu de tous ceux entrant à Marseille en voitures pour y travailler, le tout avec 3 bagages sur une moto, dont un placé sur le réservoir en équilibre, simplement retenu par mes avants bras. Ah oui, j’oubliais un détail : il pleuvait.
Mon fils m’appelle au téléphone inquiet de ne pas me voir et je dois alors lui expliquer que je ne serai peut-être pas là pour lui dire au revoir car je suis toujours bloqué derrière des cons d’autrichiens qui prennent un temps interminable pour enfiler leurs gants et monter sur leur Harley Davidson (enfin, je synthétise mon propos et l’édulcore un tant soit peu afin de ne pas effrayer mon enfant). Je reconnais dans sa voix, de la tristesse et de la rancœur envers ce papa qui n’a pas réussi à tenir sa promesse. Je raccroche en me mordant la lèvre inférieure ce qui indique chez moi un profond état de stress (ou alors la présence d’un aphte). Il faut que j’y arrive !
Après avoir salué mes compagnons à qui j’expliquais les urgences qu’il me fallait affronter, je m’expulsais du navire tel un boulet de canon. 8h15 à l’horloge de la moto et je ne peux pas avancer à plus de 20 km/h dans un flot de voitures débarquant du ferry pour se mêler à la pagaille quotidienne qu’offre notre jolie ville à des automobilistes dociles.
8h24, le bus part dans 6 minutes et je ne suis que sous le tunnel du Vieux Port ! Je repense à la voix de mon ami Nicolas qui, sur le bateau, me disait avant que je n’enclenche une première d’un coup de pied agressif “tu n’y arriveras pas alors, ne fonce pas et ne va pas te viander inutilement“. Comme s’il y avait une manière utile de se viander…
J’oblique à gauche pour m’enfoncer dans le tunnel à péage dont le prix augmente à une vitesse proportionnellement égale à la durée de sa traversée. Après avoir remonté une file de voiture à une allure proche de celle du son (j’ai même entendu un gros “bang“ sortant de mon pot d’échappement), je suis arrivé au péage. Je décide de ne pas m’acquitter du montant demandé afin de ne pas perdre de temps : mon portefeuille est inaccessible de toutes les façons et il est… 8h36. Je colle au cul d’une camionnette de livraison de fleurs et je franchis la barrière déclenchant une assourdissante alarme sonore. Une employée me hurle “et ben faut pas te gêner !“ dans un accent marseillais aussi distingué qu’une SDF réclamant une pièce à la sortie du métro pour se payer de quoi se réchauffer le gosier. Je la regarde sincèrement navré de ne pas avoir le temps de lui expliquer que je suis en mission d’une très grande urgence car mon fils attend un bisou de ma part.
Je continue ma route tout en fixant l’horloge de la moto qui sent l’huile chaude et la gomme. Le bus est sensé être déjà parti mais je tenterai ma chance jusqu’au bout. On est à Marseille et la ponctualité est un concept aussi abscons que la propreté ou le sens civique. Je ne suis plus qu’à 5 mn de son école… Je brûle tous les feux qui se dressent devant moi comme autant de rideaux de flammes que je traverse à la façon d’un cascadeur intrépide, faisant fi du code de la route et même de la déclaration des doits de l’homme et du citoyen, sur laquelle j’essuie les roues de mon engin mécanique en manquant d’écraser 1 ou 2 piétons qui ont eu la bête idée de vouloir traverser la rue.
J’arrive devant l’école à 8h46. Plus de bus… Je suis effondré mais cela ne dure pas longtemps… j’ai un flash. N’est-ce pas un autocar que j’ai croisé au carrefour il y a quelques secondes ? Un autocar blanc apparaît dans ma mémoire. Et si c’était LE car ? Demi-tour, re-crâmage de feu déclenchant un concert de klaxonnes énervés, couloir de bus… Si un hélicoptère de la police avait filmé la scène, j’étais bon pour le Guiness Book des Records, catégorie “les plus grands criminels de l’histoire du permis de conduire“.
Soudain, le car apparait dans mon champs de vision, au loin. Je passe la 5e et me porte sur sa gauche. J’avise des têtes de mioches qui me regardent faire de grands gestes, l’air effaré. Et si c’était un autre bus ? Avec d’autres mioches dedans ? Tant pis, au pire, je serais ridicule aux yeux de moutards de 8 ans. Mais non ! Une petite fille a l’air de reconnaître “le papa de Bastien“ ! Elle parle à d’autres enfants, ça s’agite dans ce #@!! de bus qui continue de rouler ! Je le dépasse, brûle (encore) un nouveau feu puis emprunte le trottoir pour me placer de l’autre côté du véhicule afin de scruter si mon fils y est assis… OUI ! Je vois sa tête ! Sa maîtresse, alertée par les cris des enfants, est venue lui dire que son papa était sur le trottoir, juché sur une moto fumante et chargé de 3 gros sacs. Il sourit.
Ce sourire… Ce sourire a été ma récompense… et bien plus. J’y ai vu de la joie mais aussi de la fierté : son père avait tenu sa promesse.

5 Responses
  1. haight harvey

    récit à couper le souffle , j’aime bien ton style. juste une chose, quand on négocie avec la CGT,on dit toujour « je ne peux pas faire des promesses que je ne peux pas tenir » c’est un peu different de
    « une promesse est une promesse »; et les enfants on les élevent à la dure !!!! rien ne vaut une petite injustice pour affirmer son autorité de père. bizzz harvey

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