C'était bien la presse… avant

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Edito du 2 novembre pour News Of Marseille

C’est fou les surprises que réserve l’écriture d’un éditorial. L’écriture tout court d’ailleurs. Depuis jeudi dernier, je suis plongé dans les affres de la réflexion, angoissé à l’idée de ne pas en avoir (d’idées. Essayez de suivre). Je vais de poste en poste chercher l’inspiration auprès de mes journalistes bien aimés mais, tel un pêcheur dévoré d’optimisme alors qu’il plonge sa canne à pêche dans les eaux troubles et polluées du Vieux Port avec l’espoir d’en ressortir une dorade de 2 kilos, je rentre bredouille dans mon lumineux bureau avec une angoisse sourde formant une boule dans ma gorge.
Chaque semaine, il me faut remettre mon ouvrage sur l’établi et essayer de trouver un thème qui suscitera l’admiration et le respect de vous, cher public.
Plusieurs sujets me sont pourtant passés par la tête : j’ai songé vous parler des 7 000 000 000 d’habitants que notre planète bleue compte depuis lundi dernier ou de vous entretenir de la pauvreté de pensée dans laquelle Twitter nous mène à force de réduire notre espace d’expression (et qui arrange nombre de journalistes pour qui, 140 caractères sont déjà bien assez pour laisser s’ébattre une pensée aussi légère que le maillot de bain d’une candidate à “l’Ile de la Tentation“) mais c’est un autre sujet que je souhaite aborder avec vous aujourd’hui.
L’idée a pénétré ma boîte crânienne alors que j’étais inconfortablement installé dans le couloir d’un train Corail m’emmenant à des centaines de kilomètres de Marseille pour passer 4 jours d’un repos que j’estime mérité. J’ai effectué la moitié du trajet debout dans un couloir de wagon bondé à cause du train précédent tombé en panne… Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les trains de la SNCF subissent de plus en plus de retards et de pannes, ce qui ne semble nullement l’affecter puisqu’elle continue d’augmenter régulièrement ses tarifs à un rythme aussi soutenu que la qualité des services qu’elle offre se dégrade (j’ai même entendu un contrôleur expliquer à un voyageur qui se plaignait de voyager debout alors qu’il avait payé le même prix que des passagers assis confortablement sur des fauteuils en velours, que “je sais, c’est pas normal mais je vous déconseille de réserver vos billets par internet car on a plein de problèmes de réservation sur cette ligne. La prochaine fois, je vous recommande de prendre votre voiture.“ Surnaturel, non ?). Bref, je déraille (sans jeu de mots) et je vous emmène sur une voie (toujours sans jeu de mots) de garage à un train (ok, j’avoue que celui-là était voulu) d’enfer.
Bref. Alors que je tâchais mon pantalon sur le sol moquetté d’un camaïeux de gris douteux, je constatais qu’un de me voisins – assis sur un fauteuil – avait posé sur sa tablette le journal l’Equipe dont il venait de terminer la lecture. Je lui demandais alors d’un ton suave si je pouvais lui emprunter le quotidien sportif qui annonçait sur 3 colonnes la 18e blessure de Gignac depuis la reprise du championnat (le mieux serait sans doute de le plâtrer jusqu’en juin). Alors que l’homme me répondait en souriant que “oui, bien sûr“, je me suis dit que j’étais en train de vivre une petite aventure du quotidien comme il n’en existerait bientôt plus.
Je n’aurais pas la prétention de me prendre pour Philippe Delerm, l’auteur de La première gorgée de bière, qui sait raconter mieux que moi les petits bonheurs du quotidien mais il aurait dû rajouter un chapitre à son ouvrage dont le titre aurait pu être : “Emprunter le journal de son voisin“.
Serge Schweitzer, l’excellentissime universitaire que je suis allé dénicher pour vous l’offrir gratuitement chaque semaine dans News Of Marseille sous la forme d’une tribune brillante et remarquablement bien écrite, a rédigé il y a peu un article sur l’e-journal et la disparition du papier. Je ne veux pas polémiquer avec lui (il me battrait à plate couture bien qu’étant sénile et ridiculement petit) mais il a oublié la dimension “sociale“ du journal papier. On n’empruntera jamais un iPad à son voisin de TGV pour y lire un article.
J’ai engagé la discussion avec le propriétaire du parchemin sportif et nous avons conversé sur l’équipe de France et l’interview que son entraîneur Laurent Blanc avait donné au quotidien. Nous avons refait la finale de la Coupe du Monde de rugby et échangé sur les équipes locales que nous supportions chaque semaine dans nos villes respectives. Il s’est moqué de l’OM et je lui ai rétorqué qu’encourager Caen revenait à peu de chose près à espérer que Marc Lévy obtienne un jour le prix Goncourt ou que Dominique Strauss Khan ne soit plus jamais entendu par un juge d’instruction.
Nous nous sommes quittés en nous saluant avec empathie et je peux le dire… une pointe de tristesse. J’avais l’impression de perdre un ami avec qui je partageais les mêmes lectures, la même passion pour le sport, un copain de journal quoi…
Alors qu’il allait descendre sur le quai, il s’est tourné vers moi au ralenti (on se serait cru dans un film de Claude Lelouch) en me tendant un bouquet chiffonné de feuilles roto-typées et m’a lancé un amical “Vous le voulez ?“. Mon cœur battait maintenant fort sous la peau velue de mon torse. J’ai saisi le reste du journal en le remerciant vivement du cadeau qu’il me faisait. Adieu l’ami, toi qui ne liras sans doute jamais les mots que m’ont inspiré notre rencontre…
Vous me direz que je suis mal placé pour vanter les mérites du journal papier qui est appelé inexorablement à disparaître, alors que je dirige un hebdomadaire numérique paraissant chaque mercredi que Dieu fait. Et si on regarde plus largement, on constate qu’un retour en arrière est fort peu probable.
France Soir est au bord de la faillite et en décembre le quotidien mutera intégralement vers une édition numérique, ce qui provoque la colère des syndiqués du livre, mais aussi des journalistes CGT et des employés de la distribution. Le Parisien/ Aujourd’hui en France supprime 48 postes sur 537, La Tribune négocie 17 départs, toujours à cause du numérique… Et cela ne fera que s’accélérer.
Mais quand même… J’ai passé un bon moment avec cet inconnu avec qui j’ai “refait le match“ le temps d’un trajet vers le nord de la France. J’ai vécu ce genre de moment où l’on se dit que les relations humaines sont encore bien vives dans notre contrée et que notre société individualiste n’a pas encore tout broyé sous ses fourches ; un dialogue peut s’établir à tout moment entre 2 personnes ne s’étant jamais rencontrées. Cela valait bien un édito – même numérique – pour le dire, non ?

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